Yom Hashoah : À la recherche des personnes perdues

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« Il est 16 h 45. Vous écoutez Kol Israël. Yaron Énoch au micro, pour notre rendez-vous quotidien, À la recherche des personnes perdues. » Chaque jour, avec sa voix grave et rauque, Yaron Énoch se fait messager d’une espérance.  Calme, acharné, têtu, Yaron Énoch prend son temps. Un journaliste d’antan. Un puriste enragé de précision et d’honnêteté.  Avec l’aide de son équipe, il sonde les appels de ceux qui cherchent. Il doit aussi pénétrer, parfois débusquer les réponses de ceux qui espèrent avoir enfin été retrouvés. Des bouteilles à la mer ? Pas vraiment : les messages qui parviennent à Yaron Énoch ne sont pas jetés au hasard des flots médiatiques. Le journaliste ne le dit pas, mais il est fier de pouvoir donner un espoir. Même si c’est souvent en vain.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, À la recherche des personnes perdues tente d’identifier des parents, des amis emportés dans la tourmente de l’histoire juive. Créée avant même la naissance de l’État d’Israël, l’émission radiophonique est devenue un mythe.

La Shoah fut un sujet tabou jusque dans les années 1950. L’oubli était un choix — un code social, presque un mot d’ordre jamais exprimé. Mais pour se souvenir, les rescapés avaient l’intimité du petit  poste de radio. Seul avec son transistor, le survivant de l’enfer écoutait d’autres rescapés anonymes raconter leur quête d’êtres chers. Certains avaient perdu jusqu’au dernier membre de leur famille, d’autres leurs enfants, leur conjoint, leurs parents. Le survivant entendait des noms, des prénoms, des lieux, des dates. L’identification apaisait la douleur. Beaucoup préféraient écrire. Un organisme officiel centralisait les demandes de recherches : deux mille lettres en 1945, vingt mille en 1946.

Interrompue dans les années 1970 — « le temps passant, le besoin s’estompera », avaient estimé les producteurs —, l’émission a été de nouveau programmée au début des années 2000. De prime abord rébarbative, l’émission bénéficie d’un fort taux d’écoute. Ce quart d’heure radiophonique est une expérience identitaire collective qui plonge l’auditeur dans le passé de son peuple. Et qui l’interpelle aussi sur l’avenir. En l’écoutant, on pourrait écrire l’histoire du peuple hébreu égaré.

À la recherche des personnes perdues n’est pas de la téléréalité. Un jour, une rencontre sur les ondes entre un père et son fils — ils se cherchaient depuis cinquante ans — a failli s’achever par une crise cardiaque. Depuis, les rencontres, souvent pathétiques, toujours émouvantes, sont racontées à l’antenne, mais se déroulent loin des micros.

Les demandes de recherche de personnes disparues pendant la Shoah se poursuivent encore aujourd’hui. Est-ce un signe ? Aujourd’hui, les enfants et petits-enfants des victimes — les deuxième, troisième et quatrième générations de la Shoah — veulent combler à leur tour les trous noirs du passé. Qu’ils aient dû attendre près de soixante dix ans pour questionner ajoute à la difficulté de leur recherche, mais ne retire rien à son authenticité.

Ils ont hérité des traumatismes. Ils savent que c’est l’occasion ultime d’approcher une histoire occultée par leurs parents. Leurs demandes se font plus pressantes, plus urgentes, comme si le temps, au lieu d’apaiser les blessures et permettre l’oubli salvateur, amplifiait le regret de ne pas savoir. Chercher avant que la trace d’un être cher soit engloutie à jamais. Un être sans nom, sans mémoire, sans souvenir. Chercher avant qu’il n’y ait plus personne à chercher, plus personne pour raconter, plus personne pour répondre.

Le grand-père de Shimon Pérès

 

 

Dans son discours d’investiture à la Knesset, lors de son élection à la Présidence de l’Etat d’Israël en 2007, Shimon Pérès, a raconté , sa dernière rencontre avec son grand-père maternel le rabbin Zvi Hirch Meltzer.

Le rav Zvi Hirch Meltzer, est le descendant du célèbre rabbi Haim de Volozhin, le sage de la ville de Valojyn au tout début du 19e siècle. Sa fille, la mère de Shimon Pérès épouse un des jeunes juifs militant du mouvement sioniste naissant dans la Pologne d’alors. “Nous n’étions pas religieux à la maison, je ne suis pas religieux” a raconté Shimon Pérès, “mais mon grand-père a influencé  toute mon existence, il m’a fait découvrir le monde juif, le monde de la yéshiva, les pages du Talmud, la bibliothèque juive, le judaïsme.”

Un jour, Shimon, avait alors 4 ans, toute la famille sous l’influence du grand-père se rend à Radin, la ville du célèbre Hafetz Haim, qui lui fait une bénédiction, de vivre de longs jours. ” Je crois que je suis arrivé à cet âge,” dit Shimon Pérès, le jour de ces 90 ans, “grâce à la bénédiction du grand sage qu’était le Hafetz Haim”.( Qui s’est d’ailleurs aussi éteint à l’âge de 94 ans, le 24 du mois d’Eloul, exactement comme Shimon Pérès).

En 1934, le père de Shimon Pérès est déjà en Palestine. Shimon, sa mère et son frère, quitte à leur tour la Pologne. Sur le quai du train, le rav Zvi, prend la main de son petit-fils, et lui dit ; “Shimon, n’oublie jamais, tu es juif, Shema Israël, rappelle toi, toujours, reste juif toujours.” 

Je me rappelle encore la voix de mon grand-père “ racontera Shimon Pérès. Son grand-père ainsi que toute la famille de son père et de sa mère furent assassinés par les nazis, quelques années plus tard.

 

Photo Shimon Pérès et sa famille, son grand-père à gauche, Shimon est le troisième enfant debout à droite
Photo – Israel Photo Collection

La victoire de Rita

 

Rita Berkovitch a 83 ans. A 9 ans elle a connu l’horreur des pogroms,  la guerre, les nazis. Elle a vu son père battu. Elle a connu l’effroi face à un nazi. Puis elle est venue en Israël. Elle a aujourd’hui 8 petits-enfants et elle est la reine de beauté d’un concours très spécial organisé chaque année à Haïfa. Miss rescapée de la Shoah. Au début décrié, ce concours a au fil des années convaincu.

Rita le soir de son succès nous a dit : ” C’est notre message. Nous avons connu l’innomable, la mort, la guerre. La vie aussi n’a pas toujours été facile. Ces dernières années, j’ai perdu mon mari, puis mon fils ainé a succombé à un cancer. De la peine terrible, je me suis relevée. J’aime la vie, le soleil, Israël, les enfants dans la rue, mes petits-enfants, leurs amours, leurs combats, leurs rêves. Viva Israël, Vive la vie !!! “

Photo du Haaretz

Yom Hashoah, les chiffres de la honte

 

189.000 survivants de la Shoah vivent aujourd’hui en Israël. Deux tiers sont des femmes. L’âge moyen des rescapés est de 83.3 ans. 13 % ont plus de 90 ans. Chaque jour, 40 d’entre eux  décèdent.

Ces rescapés sont pauvres et seuls : un quart vit sous le seuil de la pauvreté avec un revenu mensuel de 3000 shekels, moins de 750 euros. 30 % ont renoncé plusieurs fois à acheter des vivres et 25 % des médicaments.  27 % ont souffert du froid  cet hiver. 45 % disent souffrir de solitude, reçoivent des visites épisodiques de leur famille ou n’ont pas de famille. 36 % vivent seuls, sans aide aucune. (Ces chiffres publiés aujourd’hui par le Fond d’aide aux rescapés de la Shoah montrent une aggravation inquiétante de la situation comparée à l’année dernière)

Comme chaque année, une semaine avant le jour du souvenir pour les soldats et les festivités de l’Indépendance, Israël se souvient de l’innommable. Mercredi soir débutera le Yom Hashoah. Pendant 24 heures, des cérémonies, des minutes de silence, et des discours poignants. Mais pourquoi, les  ministres des finances, de Shalom à Lapid en passant par Chetrit, Olmert, Peres et Netanyaou n’ont-ils pas trouvé une solution à cette situation intolérable ? Pourquoi ceux qui ont échappé à l’enfer doivent-ils aujourd’hui souffrir de froid ?

La pauvreté en Israël est toujours  inacceptable. Mais lorsqu’elle touche à des rescapés de la Shoah, elle est une ignominie et une abjection.

Quant se lèvera-t-il un homme politique, ou une personnalité juive de Diaspora pour dire :  nous ne voulons plus d’une telle immoralité dans l’Etat juif ?

 

Moraly: Révolution au paradis

revolution au paradis

 

Mon ami, Yehuda (Jean-Bernard) Moraly sort un nouveau livre.   

Révolution au Paradis: Représentations voilées de personnages juifs dans le cinéma de la France occupée: Les Enfants du Paradis (Editions Elkana, 2014).

 Avec ce livre, Moraly lance une véritable bombe dans l’historiographie du cinéma français. Son livre bouleverse le consensus autour du film culte. Les Enfants du Paradis, (Marcel Carné, Jacques Prévert, 1943) est en effet considéré comme un des plus beaux films du monde et a été désigné comme le meilleur film du cinéma français au 20e siècle.

Mais pour  Moraly, si le film est sublime, il est aussi antisémite.

 Les historiens insistent sur le fait que le cinéma sous la  France occupée a échappé à l’embrigadement idéologique. Le livre montre exactement le contraire et jette une lumière absolument nouvelle sur  la période 1940-1944, où le cinéma français, sous la botte allemande, connait une paradoxale apogée. Moraly analyse des personnages qui ne sont pas ouvertement désignés comme juifs mais dont la profession, les traits ou le nom renvoient au Juif.  

Le livre montre aussi les différences existantes entre le scénario des Enfants du Paradis écrit en 1942 et le film projeté en 1945. Mais même dans cette version profondément modifiée après le débarquement allié, (pour amoindrir ou cacher son côté antisémite), un des personnages semble être une représentation voilée de personnage juif. Au-delà de l’inoubliable histoire d’amour et de la fresque magistrale du monde du théâtre se profile en fait un film aux références antisémites où le Juif  est considéré comme le responsable de la guerre et de tous les malheurs du monde. Avec l’aide de son éditeur, Moraly a aussi retrouvé des documents prouvant que le film a même été tourné avec de la pellicule allemande et une licence italienne.

 En d’autres termes, il a fallu attendre 70 ans, pour qu’un professeur de théâtre de l’Université hébraïque de Jérusalem ait le culot, le courage et l’impertinence de dévoiler la face voilée du film adulé. Faire une telle démonstration, c’est comme déboulonner la tour Eiffel dit Moraly.

Avec Révolution au paradis, Moraly continue, comme il a fait à travers ses autres livres sur Genet et Claudel à casser les images de marque. Un livre qui interpelle à une époque où l’antisémitisme menace de nouveau toute l’Europe.   

 

Dix ans avant la Shoah…

 

Les archives du mémorial du “Beit Lohamé Hagetaot” du kibboutz Lohamé Hagetaot mettent en ligne à l’occasion de ce Yom Hashoah 2013, un document inédit, de quelques deux cent pages écrit par un groupe de jeunes filles en 1929 à Varsovie. Des adolescentes de 15, 16 ans, membres du mouvement de jeunes sionistes de l’Hashomer Hastair, qui rêvent d’immigrer en “Palestina” et s’entrainent à parler l’hébreu et décrétent même des soirées où dire un mot en polonais est strictement interdit. Elles racontent dans ce carnet intime,  leurs préoccupations, leur quotidien, leurs craintes aussi de ne pas réussir à concrétiser leur rêve de vivre sur la “Terre des Juifs.”

Bracha a 15 ans. On la voit sur la photo, allongée, la seconde sur la droite. Elle écrit quelques pages. Puis une autre amie, puis encore une autre. Le tout est un témoignage unique d’une époque, où l’orage commençe à peine à gronder sans que personne ne réussisse à prévoir la tempête dévastatrice.  Toutes les amies de Bracha ont disparu dans la tourmente et les camps de la mort. Seule rescapée, Bracha, fait revivre aujoud’hui cette époque. Pour les jeunes israéliens et les jeunes juifs du monde entier, pour que rien ne soit oublié.

A lire certaines de ces pages, de ce quotidien d’adolescentes insouciantes, on pourrait presque croire, parfois, que les mots ont été écrits hier. L’identification est inévitable.  Et c’est là la force de ce journal.