Le guet après 18 ans d’attente! Paris-Djerba-Tel Aviv

Lorsque le rav Steisman, dayan du Beit Din de Tel-Aviv a demandé à A. si elle savait comment on dénommait une femme qui attend son guet depuis 18 ans, A. a répondu sans hésiter : “une prisonnière“.

Je n’aborderais évidemment pas les origines du conflit familial. Ce qui nous interpelle c’est comment au XXI siècle, une femme peut-elle vivre sans son guet, sans sa liberté pendant dix-huit ans ? Comment au sein du monde juif éclairé, lumière du monde, puit de sciences, de savoir et de sagesse des solutions halachiques n’ont pas encore été trouvées à cette ignominie.

Il y a un peu plus de quatre ans, lorsque j’ai rencontré A. pour la première fois, elle m’a raconté son histoire presque comme une fatalité. Une femme d’une quarantaine d’années qui depuis l’âge de 25 ans, vit dans une prison aux barreaux invisibles sans que personne n’a réussi à l’aider, elle à Paris, lui à Djerba.

Dans un premier temps, nous avons cru pouvoir réussir à convaincre le mari, personnalité de la communauté juive de Djerba.

La communauté de Djerba est une des communautés juives les plus remarquables et les plus anciennes du monde juif. Selon les Juifs de Djerba, leur présence à Djerba date de la destruction du Premier Temple de Jérusalem en 586 av l’ère chrétienne. Après avoir compté plusieurs milliers de membres, la communauté de Djerba compte aujourd’hui à peine 600-700 juifs.

Cette communauté s’est fait connaître pour l’avis de ses rabbins selon lesquels on ne répudie pas une femme contre sa propre volonté et ce bien avant les ordonnances du grand décisionnaire ashkénaze Rabbenou Guershom Meor Hagola qui au Xe siècle avait décrété l’interdiction de donner le guet à sa femme sans son accord.

Et pourtant c’est dans cette communauté connu pour son érudition que l’un des cas les plus graves de refus de guet a eu lieu.

Le Tribunal rabbinique local, des autorités rabbiniques à Djerba, en Tunisie, en France et en Israël ont tenté de parler à l’époux récalcitrant, en vain. Nous savons aussi qu’une partie de sa famille, pas tous mais beaucoup ont aussi tenté d’aider. Est-ce que vraiment tous les efforts ont été faits. Je n’en suis pas sure. Rapidement nous avons compris qu’il s’agissait d’un refus de guet catégorique, sans appel, sans espoir, du style : ” Chez nous à Djerba, on ne divorce pas“, ou encore ” Même si je ne veux plus d’elle, cette femme restera ma femme jusqu’à 120 ans”.

Après 18 ans de souffrance, cette semaine, A. a eu son guet au Beit Din de Tel-Aviv.  ” Cette semaine c’est Pourim, mais vous fêterez deux fois Pourim, car nous avons vu aujourd’hui un miracle a dit le dayan à A.

Un des cas les plus graves de refus de guet auquel nous avons dû à faire face ces dernières années a donc été réglé. Mais nous avons des dossiers tragiques sans solution : H. qui vit en Israël et dont le mari, en France, refuse de lui donner son guet depuis plus de 15 ans, Hava à New York qui attend son guet depuis 20 ans, Anna, depuis 30 ans, et encore et encore d’autres.

Face à ces cas extrêmes, il faut que les décisionnaires aient le courage de trouver des solutions conformes à la halakha pour libérer ces femmes.

Le guet après 11 ans d’attente

Après onze ans de séparation, Arielle originaire de Suisse, a reçu son guet hier au Beit Din de Tel Aviv.  Les raisons invoquées par l’époux sont toujours les mêmes : “Mais elle n’a pas demandé le guet…”, ” Après le divorce civil…”, ”  Mais si je donne le guet, je n’aurais plus de moyen de pression…” “le rabbin ne m’a pas demandé de donner le guet”…

Alors Messieurs, voici les réponses, pour qu’aucune autre femme n’attende plus jamais onze ans pour retrouver sa liberté :  Lorsque le couple décide que le mariage a pris fin, le mari doit donner le guet immédiatement. Lorsqu’une femme séparée définitivement de son époux demande son guet, une seule fois suffit. Lorsqu’une femme dit non, c’est non. Lorsqu’une femme demande son guet, c’est qu’elle demande son guet. L’époux n’a pas à attendre qu’elle dépose sans fin des demandes. Lorsque le divorce civil dure des années et que le guet est utilisé pour obtenir gain de cause, c’est contraire à l’esprit de la halakha.

Et surtout, lorsque toute une communauté sait qu’en son sein vit une femme sans guet et ne dit rien et ne fait rien, c’est un opprobre pour l’ensemble de cette communauté.

Bien des femmes restent des années “emprisonnées”.  Ce cercle de violence non dite fait perdre les repères et il faut beaucoup de courage et de force morale à une femme pour mener ce combat. Sur le chemin d’Arielle, il y a eu un rabbin, le Rav Teboul du Beit Din de Lyon, qui entendant l’histoire n’a pas supporté l’iniquité et a été le premier jalon vers la liberté. Il y a eu aussi, le dayan de Tel Aviv, le Rav Zvadia Cohen qui en moins d’une heure a réussi à convaincre le mari à donner le guet, sans condition et à l’amiable.

Pourquoi aucune autorité rabbinique pendant onze ans n’a-t-elle pas fait de même ?

Avec beaucoup de courage, Arielle a accepté que nous publions son histoire et sa photo pour qu’une femme, enchaînée dans un mariage inexistant, puisse-t-elle, elle aussi retrouver sa liberté.

Guet : Addis Abbeba – Tel Aviv

Loin du regard des médias, s’est déroulée ces derniers jours une affaire de guet sur trois continents, impliquant des dirigeants israéliens, éthiopiens et américains, des sommités rabbiniques et le Mossad, une affaire digne d’un roman d’espionnage.

Sarah (nom d’emprunt) de la communauté éthiopienne vit en Israël avec son mari et ses enfants. Il y a deux ans, sans prévenir, son époux disparait, laissant en Israël, une jeune femme aguna, seul avec ses enfants. Après plusieurs mois d’enquête, avec l’aide de l’ambassade d’Israël en Ethiopie et du Mossad, le département des agunot du Tribunal rabbinique de Jérusalem découvre que l’époux est retourné en Ethiopie. L’époux promet de donner le guet et le directeur du département, le rav Eliahou Maïmon, envoie immédiatement en Ethiopie, le rabbin Alon Nagussa, spécialiste de la communauté éthiopienne.

Une fois arrivé en Ethiopie, le rav Nagussa découvre que l’époux a disparu et contrairement à ses promesses n’est pas venu au rendez-vous pour remettre le guet à sa femme. De nouveau, les affaires étrangères et le Mossad, après un accord du Premier ministre Netanyaou se mettent à la recherche de l’époux récalcitrant. Après des mois de recherche, le mari est repéré il y a quelques semaines au Nord de l’Ethiopie. Mais dans cette région du Tigré, des combats violents et sanglants opposent l’armée éthiopienne avec le Front de libération du peuple du Tigré. Envoyer un rabbin et procéder à une remise de guet dans la région est risqué et techniquement impossible. L’inexistence de télécommunications ne permet pas un contact avec Israël nécessaire pour la remise du guet.

Le rav Maimon envoie un émissaire pour convaincre le mari de donner le guet et de se rendre avec lui plus au sud de l’Ethiopie. Une opération risquée est organisée par les services de la sécurité israélienne. Les deux hommes marchent à pied pendant près de deux jours dans les zones de combat avant d’être pris en charge par une jeep, qui les conduit sains et saufs, dans un hôtel de la capitale d Gondar, puis dans la capitale d’Addis Abbeba.

L’épouse est dépêchée au Beit Din de Tel-Aviv, et la cérémonie du guet a eu lieu la semaine dernière par conférence vidéo. Après deux ans Sarah a retrouvé sa liberté.

Quel est le prix que les services de la sécurité israélienne ont dû payer pour mener à bien cette opération risquée. Silence total des autorités. La liberté d’une femme a un prix que l’Etat d’Israël a accepté de payer.