Le 9 Av : le ménage du Messie

A Katamon, la pierre rosée de Jérusalem plaquée sur les vieux murs de plâtre a métamorphosé les taudis où s’entassaient les immigrants du Maroc dans les années cinquante. Au fil des années, le quartier misérable s’est épris de coquetterie. Les cours avenantes des maisonnettes bordent des ruelles soignées et les galetas ont pris des allures de villas-lego. De la petite pièce grisâtre où Simona, démunie de tout, avait débarqué au début de l’hiver 1953,  il ne reste qu’une photo jaunie d’une famille autour d’un poêle. Aujourd’hui, comme des cubes surmontant d’autres cubes, des pièces avec des balcons rajoutés  s’assemblent harmonieusement au dessus d’un patio fleuri où poussent de  la menthe, du romarin et du basilic. A 92 ans,  Simona est une matriarche de poigne. Elle est surtout une conteuse.

Le jour du 9 Av, elle raconte inlassablement la même histoire. Simona veut convaincre. Avec une anecdote, transmise de mère en fille depuis deux siècles, elle cherche à justifier qu’en ce jour de deuil millénaire, elle entreprend les grands ménages.

” Sur les montagnes de l’Atlas marocain, les Juifs attendaient avec impatience le 9 Av. Les sages ne nous enseignent t-ils pas que le Messie viendra à la fin de cette journée de deuil? Vers midi, après avoir récité avec ferveur les Lamentations de Jérémie, la maîtresse de maison, ôtait brusquement ses vêtements de deuil, jetait de l’eau sur les dalles de sa maison, commençait à astiquer lustres et argenterie, disposait ses marmites sur le feu, enfournait de la pâte à pain et fourrait entre les mains de son mari un pinceau pour repeindre les murs qui avaient eu le temps de se salir depuis Pessah. Le Messie arrivera dans quelques heures et il fallait bien se préparer à l’accueillir.

Vers l’an 1780, le Hida ( Le Hida est l’acronymie de Haïm Joseph David Azoulaï, l’une des sommités rabbiniques du XVIIIe siècle) se rendit au Maroc. Dans un sermon acéré, il s’insurgea contre la tradition de ces grands ménages: « Le Temple brûle et vous osez remettre votre maison à neuf ! Pour ce 9 av, vous resterez en deuil jusqu’à la nuit ».

Le lendemain, le Hida s’arrêtant un moment à l’ombre d’un arbre, surprit une conversation entre deux femmes du mellah : « Le grand rabbin nous interdit de faire du ménage. Il doit savoir que le Messie ne viendra pas cette année. A quoi bon les ménages? Quel chagrin! Quelle déception! »

Le Hida, consterné, se rendit sur le champ chez le rabbin et lui demanda d’annoncer à tous les chefs  de famille que leurs épouses pouvaient… « devaient  balayer, laver, blanchir leur maison car le Messie viendra cette nuit-là…»

Simona est fière et radieuse. Ses arrières petites filles rient aux éclats devant les mimiques théâtrales de leur aïeule. “Mes chéries, mes chéries, n’oubliez surtout pas, lorsque vous serez mariées, avec l’aide de Dieu. Il y a le grand ménage de Pessah, le ménage du shabbat, mais le plus important des ménages de l’année, c’est aujourd’hui, ce jour du 9 Av, le ménage du Messie.”

 

 

 

Arsim et Frechot, les nouvelles élites d’Israël

 

 Arsim et Frechot, les nouvelle élites d’Israël  est l’évènement médiatique de ces dernières semaines en Israël.  Diffusée en prime time sur la chaine 8, cette  série documentaire provoque des réactions en chaine, plus de dix articles dans le journal Haaretz, la une du puissant supplément de shabbat du Yedihot et des reportages dans toutes les chaines concurrentes.

Le réalisateur  Ron Cahlili a choisi deux termes provocateurs pour décrire les Israéliens qui selon lui, donnent désormais le ton et représentent les élites de demain

Arsim et Frechot  ערסים ופרחות sont deux termes argotiques, très connus en Israël. Le premier en traduction littérale désigne un proxénète, pimps en anglais  et dans le langage quotidien israélien ars, arsim est un homme vulgaire, juvénile, superficiel, le plus souvent sépharade mais pas seulement… Frecha, au singulier, frechot au pluriel  bimbos en anglais, décrit une femme provocante, aguicheuse, souvent fausse blonde. tout aussi vulgaire et superficiel que son compagnon masculin.

Cahlili qui depuis des années travaille sur la nouvelle identité sépharade, montre que sous ces deux termes violents , se cachent en fait toute une nouvelle culture qui a ses lois, sa profondeur, une authenticité et qui de plus a pris le contrôle de plusieurs secteurs de la société israélienne: la musique, la télévision, la vie people etc. Pour Cahlili, il faut dépasser le premier regard, comprendre la vulgarité apparente comme n’étant que relative face à un monde occidental qui continue à dominer Israël.

Pour mes lecteurs, un très bon lien Youtube, qui met les uns à la suite des autres, les moment les plus forts de cette série documentaire.

 

Le Rabbin Ovadia Yossef, à travers le regard de sa fille

 

 

A travers le regard de sa fille, Adina Bar Shalom, un autre aspect surgit de la personnalité complexe du grand rabbin Ovadia Yossef, qui vient de s’éteindre à Jérusalem.

Géant de la Torah, chef spirituel du judaïsme orthodoxe sépharade, le rabbin Ovadia Yossef avait aussi à bien des reprises su oser. ”Il est bien plus facile d’interdire que de permettre” disait-il en parlant des décisionnaires talmudiques. A trois reprises, le grand rabbin avait dit oui. Lors de la guerre de Kippour en libérant les veuves de la guerre de leur statut d’aguna. Face au judaïsme éthiopien en s’opposant à l’orthodoxie ashnénaze et en tranchant sur la judaïté de cette communauté. Et aussi face à la démarche révolutionnaire de sa fille d’ouvrir la première académie orthodoxe.

J’ai rencontré à plusieurs reprises Adina Bar Shalom, pour l’écriture de mon livre. Voici quelques extraits de ces rencontres telles qu’elles sont rapportées dans le livre, où elle parle de son père.

Sur la création de l’académie

“…. Chapeau noir, bas opaques, tailleur strict et lunettes ovales, Adina Bar Shalom n’a rien d’une militante féministe. Pourtant, c’est bien une révolution féminine qu’a initiée la fille du rabbin Ovadia Yossef avec l’ouverture de la première institution universitaire pour femmes ultra-orthodoxes. …. ….La fille a suivi les traces de son père. Le même refus des carcans désuets caractérise le rabbin Ovadia, le chef spirituel de l’orthodoxie séfarade. Le père d’Adina Bar Shalom a plus d’une fois tranché en faveur de la femme. Mais, en appuyant de tout son poids le projet de sa fille, en acceptant l’intrusion de l’académie au sein de l’orthodoxie religieuse, le rabbin a frôlé le sacrilège. Son audace a mobilisé contre lui le judaïsme orthodoxe ashkénaze. Des pamphlets véhéments, affichés jusque dans la rue, qualifiaient sa décision de blasphématoire et appelaient au boycott de la nouvelle institution: « Comment accepter que les jeunes filles religieuses étudient Freud, pour qui la religion est un symptôme névrotique !» Décisionnaire incontesté à la tête d’une communauté majoritaire, le rabbin séfarade a fait fi de ces critiques….. Je voulais changer fondamentalement la vie des femmes orthodoxes en leur donnant le droit de choisir. Je voulais faire quelque chose de grand, laisser l’empreinte de mon père ». « J’ai compris que l’accord de Zabulon et d’Issachar ne régirait plus les relations entre religieux et laïcs. Les Israéliens n’accepteront plus de travailler pour financer le monde religieux. Nous devrons trouver nos propres moyens de subsistance. Sans farine, pas de Torah, dit la maxime. Et j’ai donc fondé cette université.

Sur les souvenirs d’enfance et les liens avec la communauté ashkénaze

Adina Bar Shalom est née en 1945 à Jérusalem. Puis, elle a grandi en Egypte où son père, qui n’était pas encore le leader du judaïsme séfarade, était responsable du tribunal rabbinique. Dans les souvenirs d’Adina s’entremêlent les promenades sur les rives du Nil, les pyramides, les chameaux et les attaques contre la petite communauté juive du Caire lorsqu’en mai 1948 est créé l’État d’Israël. Quand, à l’âge de six ans, Adina revient en Israël, son père exige qu’elle entre dans le Beit Yaacov, le réseau scolaire orthodoxe ashkénaze….

 

Sur le souvenir et l’exemple de son père

…. J’avais onze ans lorsque nous avons quitté notre appartement de deux pièces à Jérusalem. Six enfants ne peuvent dormir dans une même chambre, laquelle de surcroît sert de bureau avait décrété ma mère. Pourtant, c’est dans mon lit, en regardant mon père penché sur ses écrits dans cette pièce tapissée de livres, chambre d’enfants et bureau du rabbin, que j’ai découvert le goût de lutter et l’amour du savoir.

Sur la halacha de son père

….Une histoire, qui dit tout. C’était lors de la shiva, la semaine de deuil de ma mère, la rabbanit Margalit. Certains ont dit, les filles s’assoiront dans une salle, les fils avec leur père dans l’autre. Mon père a entendu s’est levé et a tranché en quelques mots: ” mes filles s’assoiront là, à coté de moi, avec moi.”