Yéroham, le néant prend vie

Le centre du Néguev n’est pas un plat pays. Baignés dans la lumière rasante, les mamelons de sable caramel s’y étendent à l’infini, avant de se changer en buttes de graviers, puis de rochers piquetés de touffes d’herbe poussiéreuses — des points verts tenaces sous le soleil torride. La terre semble brusquement immense. La grande amplitude, les ciels sublimes. À l’aube, les grisés du ciel se muent en teintes rosées; une lumière ocre voile le paysage immense où le bleu du ciel, doucement, se fait de plus en plus intense. La route du désert offre une traversée dans un temps différent. Loin des couleurs pétaradantes des villes du centre, la beauté est dans l’absence. Brusquement, au détour d’un virage, le néant prend vie. Au loin, tel un de ces mirages dont le désert est prodigue, apparaissent des maisons blanches aux toits rouges. Nous sommes à Yéroham. À moins de deux heures de Tel-Aviv.

Yéroham est née en 1951 au bord du grand cratère façonné durant des millions d’années par les torrents. Leur ruissellement a érodé la montagne jusqu’à provoquer l’effondrement du sol du désert. Les convois d’épices, d’encens et de myrrhe des caravaniers nabatéens traversaient ce paysage lunaire. Deux mille ans plus tard, Israël a créé des villages le long de cette route ancestrale. Les premiers habitants de Yéroham — des Juifs roumains rescapés de la Shoah — l’ont depuis longtemps quittée. La seconde vague, venue d’Afrique du Nord, n’a pas eu le choix de s’établir ailleurs que sur ces collines désertiques. Dans l’Atlas marocain et dans les synagogues de Tunis, les populations rêvaient de Jérusalem. Elles ont fini par construire leurs maisons dans le désert.

La moitié des dix mille habitants de Yéroham est originaire d’Afrique du Nord. Un tiers a immigré des anciennes républiques soviétiques dans les années 1990. Il faut compter aussi avec une petite communauté de Juifs d’Inde dont les femmes vont toujours drapées dans leurs saris colorés. Ajoutons quelques centaines d’ultra orthodoxes qui, pour payer un loyer moins cher, ont traîné leur redingote noire et leur chapeau de feutre sous les quarante degrés. Et des Juifs américains, des familles originaires des kibboutz environnants, des intellectuels, des jeunes religieux venus habiter là par idéal. Les habitants de Yéhoram se parlent, se heurtent, se divisent, s’embrouillent, se rejoignent et se mêlent parce qu’ils n’ont pas le choix.

À trente kilomètres au sud de Beer-Shéva, à quinze kilomètres de Dimona et à cent cinquante de Tel-Aviv, la petite ville perdue au fond du désert allait droit à la faillite comme beaucoup d’autres bourgades créées ex nihilo à la périphérie d’Israël pour peupler le territoire. Minée par les combats politiques, embourbée dans les dettes et la violence,  Yéroham cherchait un sauveur, un gestionnaire visionnaire. Amram Mitzna, l’ancien maire de Haïfa, avait l’étoffe pour relever le défi. Délaissant son fauteuil de velours rouge dans l’hémicycle de la Knesset, ce député travailliste influent a pris la direction du désert. L’Ashkénaze polonais est devenu le héros d’une ville séfarade. L’ancien général s’est plongé dans le social. Le dirigeant travailliste s’est allié à la droite religieuse. Le dictateur éclairé a sauvé Yéroham de la catastrophe, faisant de la petite ville un succès, un modèle, un symbole.

Amram Mitzna n’a été qu’un chef d’orchestre. Car la population de Yéroham « en voulait ». « Yes we can » fut sa devise bien avant de devenir celle de Barack Obama : oui, on peut changer son destin quand tout semble s’y opposer, quand la réalité promet la déroute. D’abord, on a planté le décor. Des places fleuries, le marché coloré du mardi, des centres communautaires flambant neufs, de belles avenues qui s’étendent dans l’espace infini, des parcs de jeux pour enfants. Voisins des immeubles miteux des années 1960, des quartiers de petites villas coquettes se sont édifiés dans le désert proche. Surtout, on a misé sur l’éducation. Un univers de délinquance a donné naissance à un leadership d’adolescents. Les petits génies qui fuyaient leur lycée à l’abandon pour les établissements  bon chic bon genre des kibboutz voisins, sont revenus dans leur « bahut » retapé à neuf suivre les cours de professeurs de qualité attirés par d’excellents salaires. Les taux de réussite au baccalauréat ont grimpé. Les mouvements de jeunesse ont convaincu. Au lieu de fumer en cachette, les adolescents peignent les murs de leur club et aident les personnes âgées à traverser la rue.

Les bambins casés, il fallait trouver des revenus plus décents à leurs parents. L’expansion du système éducatif, la création de petites usines et les technopoles du Néguev ont fait chuter le chômage en dessous des cinq pour cent. La petite ville a attiré en masse des éducateurs, des idéalistes, des pionniers, des hommes et des femmes de qualité. Séduits par le charme de cette bourgade située entre le grand cratère et un lac d’eau douce, ils ont donné de l’élan à Yéroham, ils lui ont insufflé une âme. Les premiers succès ont attiré les capitaux. Des investisseurs, puis des organisations caritatives de la Diaspora ont permis de financer les rêves.

Car les habitants de Yéroham ont un sens aiguisé de la créativité. La petite ville est une pépinière d’expériences novatrices. Les cuisinières de Yéroham, une vingtaine de Juives marocaines ont ouvert des restaurants dans leurs maisons et il faut réserver longtemps à l’avance pour goûter les tajines de poulet confit. Une association organise pour les juifs et les chrétiens des ateliers spirituels en plein désert, une autre propose des séminaires sur un judaïsme pluraliste. Un scientifique travaille à la création d’un parc d’écotourisme. Un grand festival de rock a lieu à Yéroham où est né un jeune groupe de rock indien, réputé pour ses sonorités énergiques.

Le melting-pot israélien dont Yéroham est un prototype pourrait-il être fédérateur, plutôt que de générer des tensions ? Les points communs sont-ils fondamentalement plus forts que les facteurs de dissension ? A Yéroham, le côtoiement explosif entre séfarades et ashkénazes, religieux et laïcs, intellectuels, riches et pauvres, s’est révélé porteur.

Le succès a cependant ses poches d’ombre, sa part d’espoirs fracassés. La coexistence avec les Bédouins du village voisin prend fin quand les bergers font brouter leurs chèvres près des arbustes du nouveau parc. Des jeunes couples ne réussissent pas à trouver un logement parce que les prix ont triplé en quelques années. Un collège académique a fermé ses portes, faute d’étudiants. Des familles pauvres sont restées à l’écart du miracle. L’endettement menace l’avenir du développement.

À la sortie de Yéroham, une piste de terre mène à un lac. Il y a quelque chose de mystérieux et de magique dans cette étendue aquatique en plein désert. Un petit barrage a été construit à la fin des années 1950 au milieu des dunes rocheuses qu’escaladent des gazelles aux cornes en épée. Lorsque les pluies sont rares, le lac est à sec ; après un hiver bien arrosé, le liquide précieux abonde et les oiseaux migrateurs se posent sur les tapis d’algues. On a même construit à proximité un plan d’eau artificiel, aujourd’hui entouré de grands arbres abritant des tables de pique-nique en bois. Au crépuscule, les habitants du désert se retrouvent dans ce lieu convivial de promenades et d’activités nautiques.

Naguère, les habitants de Yéroham rêvaient de Tel-Aviv. C’est désormais Tel-Aviv qui encense Yéroham. Ses réussites et ses rêves, son optimisme, son sens du dialogue et l’absence de cynisme de ses habitants ont mis la petite ville à la mode. « J’habite Yéroham » est devenu un label, un emblème.

Cet article a été publié pour la première fois, dans mon livre, “En direct d’Israël”, paru aux éditions Inpress.

 

Pourquoi les coquelicots du Néguev sont-ils de plus en plus rouges ?

 

 

Comme chaque année, le Néguev occidental est coloré de rouge. J’avais déjà publié un post l’année dernière sur le désert d’Israël couvert de coquelicots. Mais une question qui étonnait les visiteurs qui viennent chaque année, par milliers admirer ce spectacle éphémére – une à deux semaines par an – restait sans réponse : Pourquoi les coquelicots du Néguev sont-ils de plus en plus rouges ?

Une étude – très sérieuse – menée conjointement par l’Université Ben Gourion de Beersheva et la faculté d’agronomie de Rehovot a découvert le secret : ces dernières années les troupeaux de bovins, des fermes israéliennes et des bédouins, sont de plus en plus nombreux à pâturer dans les étendues du Néguev. Les troupeaux ne s’approchent pas des coquelicots, toxiques, mais broutent  à plaisir toutes les autres herbes.

Les coquelicots, ne sont plus ombragés, sont de plus en plus exposés au soleil. Résultat, les coquelicots du Néguev sont chaque année de plus en plus rouge…

65 ans et 65 évènements

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Israël a 65 ans et j’ai choisi pour chaque année un évènement. Très subjectif, évidemment. L’idée m’est venue en préparant des jeux pour la soirée de l’Indépendance. A chacun de choisir, son évènement de l’année. Non pas l’histoire de l’histoire de l’Etat d’Israël mais quelques flashs, quelques instantanés de ces 65 ans

 

1948 Le 14mai David Ben Gourion proclame la création de l’Etat d’Israël

1949 Le 15 octobre le gouvernement décide l’union de Jaffa et de Tel-Aviv

1950 50.000 Juifs du Yémen arrivent en secret en Israël

1951 Le 13 septembre, première ligne d’autobus entre Tel-Aviv et Eilat et neuf heures pour arriver à la ville du sud

1952 Après le décès de Haim Weizman qui était le premier Président de l’Etat d’Israël, Itshak Ben Zvi est élu le 10 décembre, second Président de l’Etat d’Israël

1953 Pose de la première pierre de l’Université Bar Ilan

1954 La bière israélienne Nesher, exporte pour la première fois quelques 100.000 bouteilles vers les Etats-Unis

1955 Les Manuscrits de la Mer morte arrivent en Israël

1956 La Guerre de 1956 éclate à la fin du mois d’octobre. Tsahal occupe, puis se retire du Sinaï

1957 Inauguration du port d’Eilat

1958 Pose de la première pierre du nouveau bâtiment de la Knesset

1959 La marine israélienne acquiert son premier sous-marin

1960 Adolph Eichman est capturé

1961 Le navire Egoz, avec à son bord plusieurs dizaines de Juifs du Maroc fait naufrage

1962 Ouverture au Parc des expositions de Tel Aviv de l’exposition de l’Orient, 800 entreprises de 33 pays sont présentes et les Israéliens sont fiers de ce rayonnement

1963 Création d’une nouvelle ville, Arad

1964 Inauguration du “Movil Haartzi”, l’aqueduc qui traverse Israël du Nord au Sud. L’eau du Lac de Tibériade vers le désert du Néguev

1965 Le Musée d’Israël ouvre ses portes à Jérusalem

1966 Prix Nobel de littérature à l’écrivain Shmuel Agnon et Coca Cola ouvre sa première usine en Israël

1967 Jérusalem est réunifiée

1968 Disparition du sous-marin Dakar

1969 La Cour suprême décide que la Télévision israélienne diffusera le Shabbat

1970 Douze enfants du Moshav Avivim sont tués dans un attentat

1971 Première ligne d’autobus entre Tel Aviv et Sharem El Sheich

1972 Onze sportifs israéliens sont assassinés à Munich

1973  La Guerre de Kippour

1974 21 enfants tués dans un attentat à Maalot

1975 La Tva est instaurée en Israël

1976 Opération Entebbe

1977 Le navire de la paix d’Ebbie Nathan franchi le canal de Suez

1978 Le film “Eskimo Limon” sort sur les écrans et deviendra rapidement le film emblématique des années 80 

1979 Accord de paix entre Israël et l’Egypte

1980  Décès du peintre et  écrivain Nahum Gutman

1981 Bombardement de la centrale atomique d’Osirak

1982 Première Guerre du Liban

1983 Emile Grunzweig militant de gauche est tué lors d’une manifestation de la Paix maintenant à Jérusalem

1984 Un demi-million de personnes au spectacle de Kaveret

1985 Jonathan Pollard est arrêté aux Etats-Unis

1986 Nathan Charansky arrive en Israël et Ron Arad tombe en captivité au Sud Liban

1987 Le club de foot du Betar Jérusalem emporte la Coupe de champion d’Israël

1988 La première Intifada qui a éclaté à la fin de 1987, s’aggrave

1989 Enlèvement et assassinat du soldat Ilan Saadon

1990 Relations diplomatiques avec l‘Urss

1991 Des skuds contre Tel Aviv

1992 Première médaille  olympique pour Israël, médaille d’argent pour Yaël Arad et médaille de bronze pour Oren Smadja

1993 Signature des accords d’Oslo

1994 Accord de paix entre Israël et la Jordanie

1995 Itshak Rabin est assassiné

1996 Visite du premier ministre Shimon Pérés au Katar et dans la principauté d’Oman

1997 La deuxième chaîne de la télévision commence à diffuser

1998 Inauguration des Tours Azrieli à Tel Aviv

1999 Rana Raslan, une arabe israélienne devient Miss Israël

2000 Deuxième Intifada

2001 Massada et Saint Jean d’Acre sont inscrits au patrimoine mondial  de l’humanité de l’UNESCO.

2002 Daniel Kahneman, prix nobel d’économie 

2003 La catastrophe de la  navette spatiale Columbia et le décès de l’astronaute israélien Ilan Ramon

2004 Ouverture du Terminal 3, le nouvel aéroport Ben Gourion

2005 Israël quitte la Bande de Gaza et des milliers de familles sont expulsées de leur maison. et de nouveau, le Prix Nobel d’économie au professeur Israël Aumann

2006 Enlèvement de Guilat Shalit

2007 Acte d’accusation contre le Président Moshé Katsav

2008 Le satellite Ofek 8 est lancé dans l’espace

2009 Tel Aviv fête ces cent ans

2010 Le metteur en scène israélien Joseph Cedar tourne Footnote, qui sera ovationné dans le monde quelques mois plus tard

2011  L’été israélien dans les rues d’Israël

2012 Opération Piliers de défense. Le dôme de fer détruit la plupart des kassam tirés en direction des grands centres urbains d’Israël

2013 Israël a 65 ans . Et juste espérer et prier que l’année prochaine nous puissions choisir un évènement culturel, littéraire, sportif, sympathique, pour décrire cette année.

 

Il était une fois, la station d’autobus de Dimona

La station d’autobus de Dimona  1958

”Je suis stupéfait de voir mes propres photographies” raconte Micha Bar-Am, devant les photographies prises dans le désert du Néguev, sur des lieux aujourd’hui méconnaissables.

Le Musée d’art du Néguev a demandé à Micha Bar-Am,  un des grands photographes israéliens, Prix d’Israël en 2000 et membre de la célèbre coopérative photographique Magnum, de regrouper pour sa nouvelle exposition, ” Daroma”, Direction Sud, des photos des années 50,  du Néguev des débuts.

Sur les étendues désertiques éternisées sur ces photos, il y a aujourd’hui, des petites maisons blanches au toit rouge , des arbres et des jardins, des fontaines et des jolies rues colorées.

 

Si vous voulez découvrir le très beau site du photographe Micha Bar-Am 

 

Sabras, Russes et Bédouins, même combat

Loin du centre du pays, des hommes et des femmes que tout sépare ont opté pour une stratégie de solidarité.  Ce groupe hétérogène de sabras, Bédouins et immigrants de Russie et d’Ethiopie tente ensemble de défendre leurs intérêts auprès des autorités.

La famille de Lina Abecassis a immigré du Maroc dans les années 60, Ali Abou Rabia habite dans un des villages bédouins illégaux au Sud de Beersheba, Tania Melamed a immigré de Russie et Itshik Zaneba d’Ethiopie. Ils ont ensemble créé un groupe militant pour les droits sociaux des habitants du Néguev.

 «  Nous sommes les délaissés des délaissés, la couche la plus pauvre des pauvres d’Israël. Notre quotidien est semblable à celui des années 50. Nous n’avons droit ni à la santé, ni à l’habitat, ni à l’éducation. Pour lutter nous mettons de coté nos différences d’origine et de religion. »Dans le quartier Daleth de Beersheba, une des zones les plus pauvres d’Israël, ce groupe tente d’introduire un nouvel espoir avec comme slogan,’ Unis nous pouvons gagner. Stop à la politique d’abandon dont est victime le Néguev‘ . Ce groupe a réussi à mettre en place deux projet: une chaîne d’artisanats qui commercialise des textiles tissés par les bédouins et les juifs éthiopiens et un réseau de soutien scolaire pour les enfants juifs et bédouins défavorisés. 

 

L’Université Ben Gourion a décidé de s’impliquer dans ce combat. Etrange à première vue cette coopération entre le second Israël, sépharade, arabe, pauvre et l’Université, fief des élites. L’Université a initié les premiers contacts et utilisé ses moyens et ses relations pour aider le groupe à obtenir gain de cause.