Les comédies minute de Jeanne Worms ou Le hasard n’existe pas

 

Le 17 décembre prochain, à 10 heures, une allée proche du Théâtre Marigny et des Champs Elysées sera nommée au nom d’une écrivaine au talent très rare, Jeannine Worms (1920-2006), à la fois essayiste, romancière et dramaturge.

La cérémonie de la pose de la plaque sera présidée par Anne Hidalgo, Mairesse de Paris.

Or, le même jour, à quelques milliers de kilomètres de là, au Théâtre de Jérusalem, salle Mikro, aura lieu la première en hébreu des Comédies minute de Jeannine Worms, qui écrivait des pièces très cruelles, très drôles et très rapides, des tragédies seconde de quelques phrases.

On peut supposer que ce n’est pas par hasard et que le metteur en scène Roy Horowitz ou les traducteurs, Yehuda et Sara Moraly, ont voulu que la première coïncide avec la remise de la plaque au nom de la dramaturge.

Il n’en est rien. C’est par pur hasard (mais on sait que le hasard n’existe pas) que les deux événements se déroulent le même jour. Et cette coïncidence n’est que la signature d’une série de coïncidences qui ont fait que des événements déroulés en Israël ont déterminé des événements se déroulant à Paris.

Jugez donc. Il y a assez longtemps, paraît dans Bama, le journal israélien spécialisé dans les Arts du spectacle, une pièce de Jeannine Worms, Mougnou Mougnou. Deux femmes papotent près du landau de leurs bébés –mais on s’aperçoit vite que les bébés qu’elles bercent sont des créatures spéciales qui vont s’entredévorer. Cette pièce, parmi les dizaines écrites par Worms, est jouée par deux femmes, l’une du style je sais tout, l’autre, la femme numero 2,du style nunuche dont la naïveté donne des ailes à sa savante partenaire. La pièce, magistralement traduite par Mikhal Zupan, a séduit une étudiante, Victoria Menasherov qui décida de faire un mémoire de maîtrise sur Jeannine Worms. La directrice de cette recherche, Sharon Leavi Aronson, se passionna pour le Théâtre de Worms et, devenue Chef du Département d’études théâtrales à Tel Aviv organisa, en collaboration avec Sefi Handler, le directeur de la Galerie d’Art de l’Université, une exposition « Manières de table » où étaient jouées deux pièces de Jeannine Worms, encore deux pièces de femmes, Le Goûter et La recette –encore deux pièces à l’humour noir et grinçant qui la caractérise. Ces pièces où la nourriture est centrale, une nourriture très spéciale puisque les deux femmes mangent leurs maris.

Yehuda Moraly, très admiratif du Théâtre de Worms, écrivit à l’occasion un texte de présentation qu’il destina, en hébreu, au catalogue de l’exposition, en français à une nouvelle revue francophone, A la page. Ce texte, envoyé en France, séduit Malka Markovitch, qui le publia dans son site, Palmyre. Or, Malka Markovitch venait de rééditer son livre Parisiennes, un livre consacré aux rues de Paris portant des noms de femmes. Elle était très consciente du peu de rues parisiennes portant des noms de femmes et désireuse de multiplier ces rues. Elle proposa alors à la Mairie de Paris le nom de Jeannine Worms. La très impressionnante carrière de celle-ci, son œuvre considérable, publiée chez des éditeurs prestigieux, firent le reste. Et, après un an de démarches et d’efforts, ce qui est très peu, voici Jeannine devenue allée, mais pas n’importe où, à côté de l’allée Marcel Proust, non loin des Champs Elysées et non loin du domicile où elle vivait, quand elle vivait, rue du Faubourg Saint-Honoré.

Que ce soit un spectacle israélien qui ait finalement provoqué cette nomination est assez extraordinaire, comme le fait que le même jour, elle se fasse découvrir, par ces pièces rapides, cris de désespoir, de délire, au public israélien.Jeanne Worms était juive mais n’avait rien d’une sioniste. Mais la voilà, post mortem, faisant une alya artistique. Elle est la représentante d’un groupe peu connu, celui des dramaturges juifs français, de Feydeau (sa mère était juive), à Ionesco (sa mère était aussi juive), à Tristan Bernard, Alfred Savoir, (Poznanski), Fernand Nozière (Weill), Grumberg, Vinaver, Yasmina Reza, Danièle Chalem, Kalisky, etc, etc…

Un Judaïsme qui, souvent ne s’avoue pas, mais qu’on perçoit, au-delà des gags ,des cabriole.Un humour absurde, féroce, qui pourrait bien caractériser les créateurs juifs. Le fantôme des Marx Brothers passe à travers les lignes du Théâtre de Worms.

Espérons que le public du 17 décembre soit sensible à cet humour complexe et tourmenté.

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