La génération des fiers

Je viens de parcourir un livre à la fois passionnant et effrayant sur les jeunes arabes israéliens. 

La génération des fiers est le titre du livre parut ces jours ci en Israël, fruit d’une vaste étude réalisée  par deux chercheurs israéliens, un arabe Hawla Abou Baker et un juif  Dani Rabinovitch auprès des jeunes arabes israéliens étudiants, salariés, indépendants, religieux et laïcs, musulmans et chrétiens.

Leurs réflexions  reflètent l’air du temps au sein de la troisième génération des arabes israéliens. Des réflexions qui pour la plupart  augurent des lendemains difficiles. Pour le jeune arabe israélien, Israël n’est qu’un moyen technique, instrumental  permettant de posséder une nationalité, un passeport, une liberté de voyager dans le monde, une infrastructure du quotidien, des services de santé gratuits.  Pour le reste, Israël ne représente pour eux rien de positif.

 Cette troisième génération des arabes israéliens se considère  d’abord comme des patriotes palestiniens. Leur désir profond est qu’Israël cesse d’être un pays juif et sioniste et devienne  un Etat offrant des droits égaux à chaque communauté juive musulmans et chrétiens. Contrairement aux deux générations qui l’ont précédé la génération des fiers exige des droits collectifs, nationaux et ne se suffit plus d’une  parité économique et sociale

Le changement est aussi dans le ton. Fort de leur connaissance interne de la société israélienne et de ses faiblesses la jeune génération exige,  regarde de haut les dirigeants israéliens, parle dans un hébreu châtié, n’a plus dans le regard, la crainte et la soumission  de leurs parents et grands parents.

Leur jugement du  leadership arabe est  fait de dédain, de rejet, accusé d’acquis cosmétiques et superficiels.  «  Nous sommes des Palestiniens et fiers de l’être. Notre nationalité israélienne ne fait pas d’Israël notre patrie. Nous n’acceptons pas d’être des citoyens de seconde zone sur notre terre. Nous sommes des Palestiniens vivant en Israël et certainement pas des Arabes israéliens ou Arabes d’Israël. »

 

D’abord patriotes palestiniens ensuite citoyens israéliens ils rejettent aussi la possibilité de devenir citoyens d’un Etat palestinien. C’est sur cette terre qu’ils estiment la leur qu’ils entendent vivre.

 

Chez Leibowitz, quelques mois avant l’Intifada

Livre - Conversations avec YLQuelques mois avant le 9 décembre 1987 et l’éclatement  à Gaza de l’émeute palestinienne qui va changer le cours de l’histoire d’Israël, Yesheyaou Leibowitz nous avez reçu dans son appartement de la rue du quartier de Nahlaot à Jérusalem. 

Les reportages que je réalisais avec mon amie et collègue Mathy Franco, étaient toujours passionnels. Le journalisme d’antan. Nous concevions alors, toutes les deux, notre travail de journaliste, comme une mission. Comprendre Israël, raconter le vrai  Israël, découvrir pour partager, avec nos auditeurs. Nous nous sommes rendu chez Leibowitz pour parler d’un livre. Nous avons entendu un monologue politique.

Minuscule et pathétique, la maison de Leibowitz est plus une immense bibliothèque qu’un lieu d’habitation. Un couloir étroit bordé d’étagères avec des livres alignés en désordre, mène à la cuisine où les senteurs d’une soupe sur le feu se mêlent à ceux des reliures et des pages jaunies puis à une immense pièce, au plafond haut, et aux murs couverts de bibliothèques sans portes donnant l’impression que brusquement les livres immenses et poussiéreux vont  tomber des étagères. Il y a des livres partout, sur les chaises, sur des tables basses, sur un bureau, sur le sol autour de la pièce, des piles de livres en équilibre, des  livres reliés, des livres vieux, des livres de toutes dimension,   des livres talmudiques et des livres sur des sujets de religion ancienne, de politique, de philosophie.  Des livres et de la poussière, des milliers de livres entassés sur quelques mètres carrés.

En pantalon noir et chemise de lourd coton blanc soigneusement fermée, voûté, marchant d’un pas lent mais décidé, Leibowitz s’installe derrière une table elle aussi couvertes de livres nous fixe avec un regard brillant, lève sa main longue, fine et couvertes de rides et nous dit sans préambule, nous devons partir de ces territoires.

Toutes nos tentatives d’aborder un autre sujet se heurtent à une nouvelle diatribe passionnée. C’est l’urgence de l’heure. Il faut partir avant que cela ne soit trop tard.

Lorsque l’accident de voiture du 9 décembre embrase en quelques heures la Bande de Gaza, ses propos qui semblaient alors décousus, presque irréalistes et incompréhensibles prennent brusquement une autre perspective.

Je compris alors toute la complexité de ce pays, car Israël donne vraiment la dimension de l’irrationnel et de l’absurde tant cette terre minuscule génère les contraires. Le désert et la mer, la sainteté et l’inutile, l’exigence et l’insouciance, le sublime et le vulgaire, l’existentiel et le superflu, le mythe et le réel. Et aussi la paix et la guerre sur une terre où le sang ne s’est jamais tari. Le quotidien est aux antipodes du raisonnable. Les existences n’y sont pas calmes et réglées. Si les événements donnent le frisson, ils peuvent tout autant bouleverser les cœurs. Le temps ne s’écoule qu’en soubresauts et les limites du vraisemblable s’estompent à chaque instant. Et cela ne faisait que commencer