Chez Leibowitz, quelques mois avant l’Intifada

Livre - Conversations avec YLQuelques mois avant le 9 décembre 1987 et l’éclatement  à Gaza de l’émeute palestinienne qui va changer le cours de l’histoire d’Israël, Yesheyaou Leibowitz nous avez reçu dans son appartement de la rue du quartier de Nahlaot à Jérusalem. 

Les reportages que je réalisais avec mon amie et collègue Mathy Franco, étaient toujours passionnels. Le journalisme d’antan. Nous concevions alors, toutes les deux, notre travail de journaliste, comme une mission. Comprendre Israël, raconter le vrai  Israël, découvrir pour partager, avec nos auditeurs. Nous nous sommes rendu chez Leibowitz pour parler d’un livre. Nous avons entendu un monologue politique.

Minuscule et pathétique, la maison de Leibowitz est plus une immense bibliothèque qu’un lieu d’habitation. Un couloir étroit bordé d’étagères avec des livres alignés en désordre, mène à la cuisine où les senteurs d’une soupe sur le feu se mêlent à ceux des reliures et des pages jaunies puis à une immense pièce, au plafond haut, et aux murs couverts de bibliothèques sans portes donnant l’impression que brusquement les livres immenses et poussiéreux vont  tomber des étagères. Il y a des livres partout, sur les chaises, sur des tables basses, sur un bureau, sur le sol autour de la pièce, des piles de livres en équilibre, des  livres reliés, des livres vieux, des livres de toutes dimension,   des livres talmudiques et des livres sur des sujets de religion ancienne, de politique, de philosophie.  Des livres et de la poussière, des milliers de livres entassés sur quelques mètres carrés.

En pantalon noir et chemise de lourd coton blanc soigneusement fermée, voûté, marchant d’un pas lent mais décidé, Leibowitz s’installe derrière une table elle aussi couvertes de livres nous fixe avec un regard brillant, lève sa main longue, fine et couvertes de rides et nous dit sans préambule, nous devons partir de ces territoires.

Toutes nos tentatives d’aborder un autre sujet se heurtent à une nouvelle diatribe passionnée. C’est l’urgence de l’heure. Il faut partir avant que cela ne soit trop tard.

Lorsque l’accident de voiture du 9 décembre embrase en quelques heures la Bande de Gaza, ses propos qui semblaient alors décousus, presque irréalistes et incompréhensibles prennent brusquement une autre perspective.

Je compris alors toute la complexité de ce pays, car Israël donne vraiment la dimension de l’irrationnel et de l’absurde tant cette terre minuscule génère les contraires. Le désert et la mer, la sainteté et l’inutile, l’exigence et l’insouciance, le sublime et le vulgaire, l’existentiel et le superflu, le mythe et le réel. Et aussi la paix et la guerre sur une terre où le sang ne s’est jamais tari. Le quotidien est aux antipodes du raisonnable. Les existences n’y sont pas calmes et réglées. Si les événements donnent le frisson, ils peuvent tout autant bouleverser les cœurs. Le temps ne s’écoule qu’en soubresauts et les limites du vraisemblable s’estompent à chaque instant. Et cela ne faisait que commencer

Des cicatrices dans les âmes

 

Le retrait de Gaza a laissé des cicatrices dans les âmes des adolescents. C’était une après midi brûlante de l’été 2007, quelques deux ans après le retrait de Gaza, sur les pelouses du kibboutz religieux de Hefetz Haim, près d’Ashkelon. Je prépare un papier sur le monde religieux après le retrait de Gaza. Pas un papier politique. Je laisse de coté la controverse politique sur le bien fondé ou non de la politique d’Ariel Sharon pour raconter la détresse personnelle, l’histoire  d’hommes, de femmes et d’enfants bousculés par les courants de l’histoire.

 

Ils ont entre 17, 18, 19 ans. Il y a deux ans ils habitaient le Goush Katif. Ils  sont assis en rond sur les pelouses du kibboutz et tentent de comprendre.  Voici quelques propos que j’ai alors notés:

Noam : « Je devais entrer dans l’armée, dans quelques mois. Je ne peux plus aujourd’hui, je ne me vois pas servir dans une  armée qui a expulsé ma famille de sa maison. Je me sens humilié, trahi, jeté aux loups, rejeté par mon armée, par mon pays. « 

Dan : « Tsahal et nous, c’est fini. Je réfléchis depuis quelques jours et j’ai décidé d’entrer dans une yéshiva pour étudier la Tora, au lieu de servir dans Tsahal. Moi qui étais un fervent de l’Etat d’Israël, du sionisme, je ne me reconnais plus aujourd’hui face à ces valeurs et je me demande si le judaïsme orthodoxe n’est pas plus honnête. L’Etat d’Israël, s’il n’est plus respectueux d’Eretz Israël, de la terre d’Israël doit perdre sa centralité. Comme disent les orthodoxes, comme le pensent beaucoup de juifs en Diaspora, on peut être juif, sans Israël. « Et de sortir de sa poche une kippa noire en enlevant la kippa aux couleurs orange et verte.

Rami : « Tu vas quand même un peu loin. Au lieu de tout briser, nous devons nous poser des questions.  Pourquoi notre combat a t-il échoué, pourquoi n’avons nous pas réussi à convaincre le public et les leaders politiques.

 Nissim : « Depuis la création de l’Etat d’Israël, nous avons vécu comme dans un ghetto au sein de la société israélienne. Des écoles séparées, un mouvement de jeunesse, des quartiers d’habitation à nous, et surtout une appropriation du « grand Israël « , comme si vivre à Ariel ou dans le Goush Katif était plus sioniste que de travailler à Tel-Aviv ou de cultiver la terre du Néguev. «