Un nouveau dictionnaire avec spin et sababa

J’ai découvert cette semaine dans un communiqué de presse, l’existence d’un nouveau dictionnaire hébreu-français-hébreu.  Et j’ai aimé. Les  neuf raisons de mon coup de coeur. 

1- Facile de trouver un mot, facile de trouver un verbe 

2 – Les écologistes israéliens sauront désormais traduire “développement durable” et autres néologismes du 21 siècle

3- Les français pourront comprendre les ados israéliens  qui répètent 50 fois par jour ( au minimum)  ”Sababa”, et autres expressions populaires en vogue au pays d’Eliezer Ben Yehuda.

4-et aussi le motSpin”, le terme journalistique le plus utilisé au cours de l’année 2009, selon l’institut d’enquêtes médiatiques Ifaat. 

5 – Si vous êtes œnologue vous saurez dire en hébreu “ blanc de blanc” “chambrer le vin rouge” et “cru de cru”.

6-L’auteur écrit dans son introduction (et je partage), ce dictionnaire regorge d’expressions qui, par leur portée métaphorique permettent de manier une langue colorée et imagée. 

7-Ce dictionnaire est un beau livre, clair, précis, sérieux,lourd, robuste comme doit l’être un dictionnaire…

8-…Mais aussi sympathique, comme s’il donnait à tous ceux qui naviguent entre l’hébraïque et la française, la liberté des mots.

 9 – Et puis j’ai aimé qu’une traductrice qui a déjà participé à la rédaction de plusieurs dictionnaires (Editions Achiassaf et Larousse, mise à jour du dictionnaire de Marc Cohen, Editions Prologue) décide de sortir un beau matin en solo son dictionnaire. Pas exactement, un beau matin.” J’ai commencé à écrire ce dictionnaire depuis  50 ans… me dit Allouch.  Des papiers, fiches et notes écrits à la main dans des carnets avant que l’ordinateur ne vienne mettre de l’ordre dans ce dédale de mots.

 

Le ” Grand dictionnaire” de Colette Allouch
Editions Prologue
180 Shekels
En vente en Israël seulement (pour l’heure)

S. Yizhar à Mishkenot Shaananim

Depuis quelques mois, Mishkenot Shaananim accueille “les vendredis littéraires”,  des livres et leurs auteurs mis en scène avec ce beau titre donnée à cette série, ” la littérature sur scène”.

Moments particuliers de ce Jérusalem littéraire, bouillon de culture, dans ces maisons datant du 19e siècle. Dans la Jérusalem ottomane, le richissime britannique Moshé Montefiore y avait abrité les juifs nécessiteux  qui avaient accepté de vivre en dehors des murailles protectrices.

Aujourd’hui rénovées, ces maisons ont été transformées  en bijou de l’architecture jérusalémite: pierres centenaires, jetées de bouquets fleuris sur les dalles d’époque, bois ancien et ferronnerie d’art, couleurs ocres, rouges et bleus. Mishkenot Shaananim est devenue une belle auberge pour artistes et écrivains ( Saul Bellow y a écrit son roman Le Don de Humboldt qui lui a valu le prix Pulitzer en 1975)  et plus récemment un centre de conférences et d’art.

 

Ce vendredi a été consacré à Yizhar Smilansky –  S. Yizhar – le plus grand écrivain israélien des débuts de l’Etat d’ Israël, pour beaucoup  fondateur de la littérature hébraïque. Yizhar est décédé à l’âge de 90 ans en août 2006. Le Larousse décrit ainsi ce  maître de la littérature israélienne des années 1940. (J’ai volontairement cité le Larousse pour vous permettre d’avoir accès aux titres des livres traduits en français)

” Son héros privilégié est un jeune homme rêveur et tourmenté comme lui, évoluant dans un paysage marqué par les souvenirs d’enfance d’un bourg agricole face aux espaces infinis du désert (le Bois sur la colline, 1947). Dans le roman les Jours de Tziklag (1957), ainsi que dans les Quatre Nouvelles (1956) et les Six Contes d’été (1960), il évoque le drame des combattants pour l’indépendance et leurs victimes, les conquêtes, la destruction et la mort. Avec les Contes de la plaine (1964), il est entré dans l’ère de la désillusion. Son style baroque, amalgamant le langage parlé à toutes les formes de l’hébreu, a profondément marqué la langue littéraire de ses contemporains. Après presque 30 ans, Yizhar brise son silence pour publier deux romans autobiographiques, où il retrace la saga des pionniers sionistes au début du XXe s, Miqdamot, 1992, et Zalhabim, 1993.”

S.Yizhar était un personnage complexe. Grandi dans une famille d’écrivains, professeur de littérature hébraïque à l’université de Tel-Aviv, il fut aussi député dès la première Knesset et jusqu’à 1967.  Il a beaucoup écrit sur la guerre, mais aussi sur la nature et l’écologie.

A Mishkenot Shaananim, S. Yizhar est joué sur scène. Théâtre, danse et mouvements  sur les questionnements de l’écrivain, questions qui avaient déjà dérangé au lendemain de la Guerre d’Indépendance et qui gardent aujourd’hui toutes leur acuité: la nature de la guerre, la désobéissance, la peur de mourir, le destin collectif face au cheminement de l’homme.  Décrivant les événements de la Guerre d’Indépendance, Yizhar avait écrit: ” N’était-ce pas notre privilège de vainqueurs ? Après deux mille ans d’exil et les persécutions en Europe, nous étions à présent les Maîtres. » « Il aimait les guerriers et détestait les guerres »  disait de lui le poète Haim Gouri.

Et un mot sur le public de Mishkenot Shaananim. Si différent des Tel-aviviens. Ces Jérusalémites du 21è siècle semblent dans leurs allures d’avant garde porter sur eux l’histoire millénaire de leur ville. 

 

Yair et Tomy Lapid

Ilana Dayan, rédactrice en chef d’Ouvda, une des émissions de qualité de la télévision israélienne recevait il y a quelques jours Yair Lapid à l’occasion de la sortie prochaine de son livre sur son père. Une biographie écrite comme une autobiographie, comme si Tomy Lapid écrivait.

“J’avoue, je suis gros et gourmant. Je suis laïc et ashkénaze. Je préfère la carpe farcie  au couscous et Naomi Shemer à la musique orientale. J’avoue je fait partie d’une élite, je suis bourgeois. J’avoue aussi je suis sioniste et israélien. ” écrit Yair au nom de son père, ancien journaliste, ancien dirigeant du parti ultra laïque Shinoui.

Avec certes un monde de valeurs très éloigné du mien,  Tomy Lapid et son fils, représentent aussi le bel Israël. La rage de vivre après la Shoah, le rêve de la normalité, l’hébreu châtié, l’amour pur et dur d’Israël et du peuple juif.

Pour mon père, explique Yair, j’était la réponse à Hitler, la réponse au soldat nazi venu prendre mon grand père, la réponse aux souffrances endurées par tous les rescapés de la Shoah.

Yair Lapid et Ilana Dayan ont raconté deux histoires délicieuses que voici.  Il y a quelques années, Yair était à Budapest avec son père dans un des plus célèbres restaurants de la ville, haut lieu de la cuisine hongroise. C’est entendu dit Tomy Lapid au garçon en lui montrant toute  la page du menu. C’est entendu. Pardon répond le garçon qui croit avoir mal compris. C’est entendu. Le garçon comprend, dresse une seconde table, et amène les six entrées, les sept plats principaux et les dix desserts. Et mon père, raconte Yair, se met à manger, calmement se délectant pendant près de quatre heures. ” Rien ne presse Yair, cela fait cinquante ans, depuis la sortie du ghetto que j’attends de manger de la vraie cuisine hongroise. “

Pendant les mois qui précédent la mort de Tomy Lapid, Ammon Denkner, l’ancien rédacteur en chef  du Maariv enregistre des dizaines d’entretiens avec son ami intime. Dans un de ces entretiens, Tomy parle de son fils. ” Yair était un enfant renfermé, introverti. Dans les anniversaires, les autres enfants participaient et lui restait seul de coté à regarder. Comment Yair est devenu une des vedettes des médias israéliens, c’est un secret que je ne comprends toujours pas. ” Cette histoire m’a fait pensé à l’inquiétude des parents devant la timidité de leurs enfants. Ne vous inquiétez donc pas…

Avec beaucoup de pudeur, Yair Lapid a aussi révélé dans cette émission  qu’il avait une petite fille autiste. ” Je n’en ai jamais parlé parce que cette histoire n’était pas celle du public. J’ai accepté de participer à la campagne publicitaire de la Banque Hapoalim uniquement pour financer la création d’un village unique au monde pour enfants autistes. J’écris au nom de mon père et j’ai donc du mettre sur le papier ce secret.         ” Yair et Liea mettent beaucoup d’énergie pour élever leur fille Yaël. Ma petite fille, belle, tendre, transparente et qui n’est pas vraiment avec nous, ” écrit Tomy Lapid sous la plume de Yair Lapid.

 Et il y a eu aussi un scoop dans cette émission. La politique ? demande Ilana Dayan. Que reste t-il bien à découvrir pour cette vedette médiatique qui a déjà écrit des livres, des romans, du théâtre, des poèmes, joué au cinéma et au théâtre? Lapid junior n’a pas dit non. A suivre donc.

La génération des fiers

Je viens de parcourir un livre à la fois passionnant et effrayant sur les jeunes arabes israéliens. 

La génération des fiers est le titre du livre parut ces jours ci en Israël, fruit d’une vaste étude réalisée  par deux chercheurs israéliens, un arabe Hawla Abou Baker et un juif  Dani Rabinovitch auprès des jeunes arabes israéliens étudiants, salariés, indépendants, religieux et laïcs, musulmans et chrétiens.

Leurs réflexions  reflètent l’air du temps au sein de la troisième génération des arabes israéliens. Des réflexions qui pour la plupart  augurent des lendemains difficiles. Pour le jeune arabe israélien, Israël n’est qu’un moyen technique, instrumental  permettant de posséder une nationalité, un passeport, une liberté de voyager dans le monde, une infrastructure du quotidien, des services de santé gratuits.  Pour le reste, Israël ne représente pour eux rien de positif.

 Cette troisième génération des arabes israéliens se considère  d’abord comme des patriotes palestiniens. Leur désir profond est qu’Israël cesse d’être un pays juif et sioniste et devienne  un Etat offrant des droits égaux à chaque communauté juive musulmans et chrétiens. Contrairement aux deux générations qui l’ont précédé la génération des fiers exige des droits collectifs, nationaux et ne se suffit plus d’une  parité économique et sociale

Le changement est aussi dans le ton. Fort de leur connaissance interne de la société israélienne et de ses faiblesses la jeune génération exige,  regarde de haut les dirigeants israéliens, parle dans un hébreu châtié, n’a plus dans le regard, la crainte et la soumission  de leurs parents et grands parents.

Leur jugement du  leadership arabe est  fait de dédain, de rejet, accusé d’acquis cosmétiques et superficiels.  «  Nous sommes des Palestiniens et fiers de l’être. Notre nationalité israélienne ne fait pas d’Israël notre patrie. Nous n’acceptons pas d’être des citoyens de seconde zone sur notre terre. Nous sommes des Palestiniens vivant en Israël et certainement pas des Arabes israéliens ou Arabes d’Israël. »

 

D’abord patriotes palestiniens ensuite citoyens israéliens ils rejettent aussi la possibilité de devenir citoyens d’un Etat palestinien. C’est sur cette terre qu’ils estiment la leur qu’ils entendent vivre.