Un homme “agoun”

L’époux “agoun” face à une épouse qui refuse de recevoir son guet est un sujet dont on parle beaucoup moins que le drame de la femme agouna.

Le cas d’un mari “agoun”, est certes bien moins grave dans ses conséquences. Alors qu’une femme agouna, ( son mari refuse de lui donner son guet ) n’a aucune issue, le mari “agoun”, ( sa femme refusant de recevoir le guet), a du point de vue de la halakha plusieurs possibilités de continuer sa vie, y compris celle de se remarier (bien que l’autorisation d’un second mariage soit compliquée à obtenir). S’il a un enfant avec une autre femme, cet enfant sera légitime alors que dans le cas d’une femme sans guet, cet enfant sera “mamzer”, batard.

Tout en étant beaucoup moins dramatique pour le conjoint, l’attitude d’une femme qui refuse de recevoir son guet, est tout aussi reprochable. Comme pour la agouna, il y a là une exploitation inacceptable de la Loi juive. Ce que nous disons pour défendre la femme agouna, doit aussi être dit pour l’homme agoun. Lorsqu’il n’y a plus de chance de “shalom bait”, de vie maritale, le guet doit être donné immédiatement par l’époux et doit être reçu immédiatement par l’épouse.

Grâce à une décision d’une importance majeure pour le droit de la femme, décision datant d’un millier d’années, décrétée par Rabbenou Guershom, Meor Hagolah, (c. 960 -1040), un des premiers et des plus importants décisionnaires halachiques du monde ashkénaze, le divorce juif, le guet ne peut plus être donné par l’homme sans le consentement de l’épouse. L’épouse doit accepter le guet et le recevoir directement ou par un émissaire nommé par un Beit Din.

Le phénomène de femmes qui refusent de recevoir leur guet n’est pas rare. Selon les données des Tribunaux rabbiniques, il serait même plus important numériquement que le nombre de maris refusant de donner le guet à leur femme.

Cette semaine, la Cour Suprême saisi en appel par l’épouse qui refusait de recevoir son guet a tranché et donné raison à l’époux. Pour la Présidente de la Cour, la Juge Esther Hayout, le chantage de l’épouse est condamnable et la Haute Cour a donné raison au Tribunal rabbinique qui avait condamné la femme a une amende journalière de 150 shekels, puis de 220 shekels tant qu’elle refusera de recevoir son guet que l’époux a déjà déposé devant le Beit Din.

Le couple qui s’est marié il y a trois ans, s’est séparé après quelques jours de mariage. L’époux sous le conseil du Beit Din a accepté de transmettre à l’épouse les cadeaux du mariage pour une valeur de 60.000 shekels. Mais l’épouse continue depuis trois ans a refusé le divorce.

Dans le même dossier, La Haute Cour a par contre rejeté la décision du Beit Din de réduire la valeur de la Ketouba de l’épouse de 500 shekels par jour, tant que le refus de recevoir le guet se poursuivrait et permet ainsi à la femme de demander sa kétouba dans son intégralité, une fois qu’elle aura accepté de recevoir le guet.

Deux histoires de gett

 

 

Nous avons cette semaine réussi à libérer deux jeunes femmes d’un mariage impossible, l’une de Paris, l’autre de New-York.

Elles ont eu leur gett  en Israël, après des mois de cauchemar. Deux histoires qui se ressemblent. Séparée depuis plus d’un an, sans espoir de “shalom bait”, de poursuivre une vie de couple, leur mari est convoqué à plusieurs reprises par plusieurs Beit Din locaux. L’époux “ignore” les convocations, puis promet de venir et ne vient jamais, mais continue sa vie, laissant sa jeune épouse, dans un tunnel sans fin, ni mariée, ni divorcée.

Certains rabbins et dirigeants de communautés, malheureusement jouent le jeu du mari, tentent de convaincre la femme de céder à des demandes sans fondement, et conseillent même au mari, dans le cas de New York, ” à laisser trainer l’affaire, elle finira bien par céder.”

Contrairement à cette attitude inacceptable d’un certain leadership, le Beit Din de Paris et un des Beit Din de Brooklyn, comprennent qu’ils sont face à “un chantage au gett”, ou à “un refus de gett non avoué ” de la part de l’époux et ne rien faire, risque d’imposer à une femme de moins de trente ans, une vie sans espoir.

La chance de ces deux jeunes femmes, c’est donc d’abord la mobilisation du Beit Din local, à Paris et à Brooklyn, qui ont fait une analyse juste de la situation. 

C’est ensuite, la politique de ‘” tolérance zéro” face aux maris récalcitrants menée avec détermination par le Beit Din d’Israël, dans ces deux cas, le Rav et Dayan Zvadia Cohen. Avec ténacité, le Beit Din d’Israël, depuis quelques années tente d’imposer à l’ensemble des Beit Din une politique claire : une femme ne peut plus être otage. Certes, il y a encore des bavures, des cas mal gérés, des situations intolérables, mais le message majeur est celui d’une tolérance zéro.

Le mari récalcitrant de New York, n’a eu aucun problème à expliquer au dayan, ” chez nous, c’est comme cela, si elle veut son gett, elle devra d’abord accepter “, avant de présenter une longue liste d’exigences  financières et liées à la garde de leur enfant.

Le Dayan du Beit Din de Tel-Aviv lui a répondu ainsi “ Jeune homme, lorsqu’il n’y a plus d’espoir pour une vie de couple, un gett se donne et se reçoit sans condition aucune. C’est la halakha.”

Yéhoudit a eu son guet…

 

 

Après des années de combat, Yéhoudit a eu son guet.

” Mais pourquoi dois-je payer pour avoir mon guet” m’a demandé Yéhoudit lors d’une de nos discussions pendant ces mois de combat. Ce cri du cœur d’une femme à la recherche de sa liberté est aussi la question cruciale que pose le divorce dans le monde juif. Certes, la Torah écrit qu’un homme doit donner le guet à sa femme “de sa propre volonté”, mais la Torah n’écrit pas que l’homme doit monnayer, marchander, racketter ce guet.

Le Rav Shlomo Stessman, président du Tribunal rabbinique de Tel-Aviv, un des juges rabbiniques les plus importants du monde juif, a accompagné la procédure entamée par Yéhoudit en Israël. Pour définir le statut d’une femme aguna, le rav Stessman refuse de prendre en considération des critères de temps : ” Lorsqu’il est clair qu’il n’y a plus aucun espoir et que l’un des deux, malgré tout, refuse de libérer l’autre, nous sommes dans un cas d’igoun, de retenue par la force de l’autre, quel que soit le temps écoulé, un jour ou un an.”  Définition courageuse et  avant-gardiste de la part d’une  autorité rabbinique du monde orthodoxe.

Le rav Stessman redonne au guet sa définition halakhique originale : Lorsque tout espoir d’une union a disparu, donner le guet est une mitzva, un commandement.  Et refuser de donner le guet est une enfreinte à la Loi.

L’ancien époux de Yéhoudit et les autres époux qui enchainent encore leur femme ne portent pas seuls, la responsabilité de cette entrave à la halakha.

La responsabilité incombe à nous tous, les médias, la communauté, qui véhiculons des normes mensongères. La loi juive a été prise en otage. L’esprit de la Loi a été méprisé, outragé, violé. Un guet ne se monnaie pas. Donner ou recevoir le guet est une mitzva au même titre que d’autres commandements.

Un divorce est toujours un âpre combat émotionnel, financier et juridique. Il ne doit pas être aussi un combat halakhique. Car la halakha strico-sensus prévoit au contraire un parcours, lorsque qu’une histoire d’amour devient un thriller cauchemardesque, lorsque l’amour désagrégé s’est transmué en haine, lorsque s’entremêlent vengeance et regret, haine et désirs, lorsque que tout semble apocalyptique.

Encore un mot sur le guet de Yéhoudit. La remise du guet s’est déroulée à Paris. Mais elle a été permise grâce à l’intervention énergique du Tribunal rabbinique d’Israël et du département des agunot du Tribunal, qui en créant une dynamique dans un conflit interminable a permis de trouver une solution.

Après des procédures sans issue, Yéhoudit, avec courage et ténacité avait mobilisé l’opinion publique via les réseaux sociaux et diffusé une pétition signée par plus de 2000 personnes. Comme dernier espoir, elle s’est adressée à nous, toanot rabbaniot, avocates devant le Beit Din, qui en coopération étroite avec les tribunaux rabbiniques, tentons de libérer des femmes – et aussi des hommes – d’un lien matrimonial impossible.

Yéhoudit débute aujourd’hui une nouvelle vie. Et pour nous, qui avons depuis le début cru en elle, cru en son combat, cette journée est une journée de fête et d’espoir. 

Photo, prise de la pétition publiée par Yéhudit.

 

Yom Hashoah : À la recherche des personnes perdues

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« Il est 16 h 45. Vous écoutez Kol Israël. Yaron Énoch au micro, pour notre rendez-vous quotidien, À la recherche des personnes perdues. » Chaque jour, avec sa voix grave et rauque, Yaron Énoch se fait messager d’une espérance.  Calme, acharné, têtu, Yaron Énoch prend son temps. Un journaliste d’antan. Un puriste enragé de précision et d’honnêteté.  Avec l’aide de son équipe, il sonde les appels de ceux qui cherchent. Il doit aussi pénétrer, parfois débusquer les réponses de ceux qui espèrent avoir enfin été retrouvés. Des bouteilles à la mer ? Pas vraiment : les messages qui parviennent à Yaron Énoch ne sont pas jetés au hasard des flots médiatiques. Le journaliste ne le dit pas, mais il est fier de pouvoir donner un espoir. Même si c’est souvent en vain.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, À la recherche des personnes perdues tente d’identifier des parents, des amis emportés dans la tourmente de l’histoire juive. Créée avant même la naissance de l’État d’Israël, l’émission radiophonique est devenue un mythe.

La Shoah fut un sujet tabou jusque dans les années 1950. L’oubli était un choix — un code social, presque un mot d’ordre jamais exprimé. Mais pour se souvenir, les rescapés avaient l’intimité du petit  poste de radio. Seul avec son transistor, le survivant de l’enfer écoutait d’autres rescapés anonymes raconter leur quête d’êtres chers. Certains avaient perdu jusqu’au dernier membre de leur famille, d’autres leurs enfants, leur conjoint, leurs parents. Le survivant entendait des noms, des prénoms, des lieux, des dates. L’identification apaisait la douleur. Beaucoup préféraient écrire. Un organisme officiel centralisait les demandes de recherches : deux mille lettres en 1945, vingt mille en 1946.

Interrompue dans les années 1970 — « le temps passant, le besoin s’estompera », avaient estimé les producteurs —, l’émission a été de nouveau programmée au début des années 2000. De prime abord rébarbative, l’émission bénéficie d’un fort taux d’écoute. Ce quart d’heure radiophonique est une expérience identitaire collective qui plonge l’auditeur dans le passé de son peuple. Et qui l’interpelle aussi sur l’avenir. En l’écoutant, on pourrait écrire l’histoire du peuple hébreu égaré.

À la recherche des personnes perdues n’est pas de la téléréalité. Un jour, une rencontre sur les ondes entre un père et son fils — ils se cherchaient depuis cinquante ans — a failli s’achever par une crise cardiaque. Depuis, les rencontres, souvent pathétiques, toujours émouvantes, sont racontées à l’antenne, mais se déroulent loin des micros.

Les demandes de recherche de personnes disparues pendant la Shoah se poursuivent encore aujourd’hui. Est-ce un signe ? Aujourd’hui, les enfants et petits-enfants des victimes — les deuxième, troisième et quatrième générations de la Shoah — veulent combler à leur tour les trous noirs du passé. Qu’ils aient dû attendre près de soixante dix ans pour questionner ajoute à la difficulté de leur recherche, mais ne retire rien à son authenticité.

Ils ont hérité des traumatismes. Ils savent que c’est l’occasion ultime d’approcher une histoire occultée par leurs parents. Leurs demandes se font plus pressantes, plus urgentes, comme si le temps, au lieu d’apaiser les blessures et permettre l’oubli salvateur, amplifiait le regret de ne pas savoir. Chercher avant que la trace d’un être cher soit engloutie à jamais. Un être sans nom, sans mémoire, sans souvenir. Chercher avant qu’il n’y ait plus personne à chercher, plus personne pour raconter, plus personne pour répondre.

La presse en parle…

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J’ai écrit ce livre pour dire l’humanisme, la richesse, l’humour, la poésie, l’intelligence, la modernité et l’universalité de la cérémonie du mariage juif. Et si vous ne l’avez pas encore lu, voici ce que la presse en pense.

 

Pour commander le livre 

 

“Tout sur le mariage juif à travers 400 questions et réponsesTimes of Israel

 

“Avocate auprès des tribunaux rabbiniques, la journaliste Katy Bisraor Ayache dévoile, de façon érudite et accessible, la cérémonie du mariage. Actualité juive

 

Si les livres sur le mariage juif sont légion, chacun avec son cachet spécifique, celui que propose Katy Bisraor Ayache sort assurément du lot. Il s’agit d’une véritable anthologie décrivant exhaustivement les étapes majeures du mariage juif. Le Mariage a en outre la particularité de regrouper des coutumes extrêmement diverses issues des grandes communautés juives du monde. L’auteure, journaliste de profession, a su mettre en œuvre ses compétences et son esprit d’analyse critique pour remonter jusqu’aux sources des lois et des traditions. Sous forme de questions et réponses, cet ouvrage offre ainsi un tour d’horizon complet du mariage ponctué de nombreux proverbes, anecdotes et autres développements plus approfondis. Les recherches très fouillées de ce livre en font une œuvre assurément remarquable”   Hamodia – Guesher.

 

Une véritable encyclopédie sur le mariage ! Kountrass

 

Le livre permet de personnaliser sa cérémonie, d’en faire un jour unique, tout en adoptant des usages qui ont cours dans les communautés juives depuis des millénaires. Une façon de s’affirmer comme juif. Le Jerusalem Post

 

Katy Bisraor nous dévoile dans son livre l’extraordinaire richesse du mariage juif ou se mêlent lois juives et coutumes qui ont traversé de part en part, les communautés sépharades et ashkénazes.  Israel Magazine

 

Le livre qui donne envie de se marier … Radio J

 

Le nouveau livre de référence sur le mariage ”  Desinfos

 

Pour convier les lecteurs à vivre d’une autre manière le mariage, le leur, celui de leurs amis, de leurs enfants, de leurs petits-enfants…” Tribune juive

 

Ce livre est une mine d’or d’information et de connaissance, tous les aspects du mariage sont abordés de la première rencontre, à la cérémonie elle-même, à la semaine de fête qui suit le mariage. Un livre qui a sa place dans tous les foyers. Kol Israël

 

Un ouvrage très complet sur le mariage, ses coutumes, ses règles, ses significationsLPH

 

Un mot : Passionnant…” RJM

 

Le Mariage,

Editions Pardess Création,

589 pages   – 26 €

 

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Le 9 Av : le ménage du Messie

A Katamon, la pierre rosée de Jérusalem plaquée sur les vieux murs de plâtre a métamorphosé les taudis où s’entassaient les immigrants du Maroc dans les années cinquante. Au fil des années, le quartier misérable s’est épris de coquetterie. Les cours avenantes des maisonnettes bordent des ruelles soignées et les galetas ont pris des allures de villas-lego. De la petite pièce grisâtre où Simona, démunie de tout, avait débarqué au début de l’hiver 1953,  il ne reste qu’une photo jaunie d’une famille autour d’un poêle. Aujourd’hui, comme des cubes surmontant d’autres cubes, des pièces avec des balcons rajoutés  s’assemblent harmonieusement au dessus d’un patio fleuri où poussent de  la menthe, du romarin et du basilic. A 92 ans,  Simona est une matriarche de poigne. Elle est surtout une conteuse.

Le jour du 9 Av, elle raconte inlassablement la même histoire. Simona veut convaincre. Avec une anecdote, transmise de mère en fille depuis deux siècles, elle cherche à justifier qu’en ce jour de deuil millénaire, elle entreprend les grands ménages.

” Sur les montagnes de l’Atlas marocain, les Juifs attendaient avec impatience le 9 Av. Les sages ne nous enseignent t-ils pas que le Messie viendra à la fin de cette journée de deuil? Vers midi, après avoir récité avec ferveur les Lamentations de Jérémie, la maîtresse de maison, ôtait brusquement ses vêtements de deuil, jetait de l’eau sur les dalles de sa maison, commençait à astiquer lustres et argenterie, disposait ses marmites sur le feu, enfournait de la pâte à pain et fourrait entre les mains de son mari un pinceau pour repeindre les murs qui avaient eu le temps de se salir depuis Pessah. Le Messie arrivera dans quelques heures et il fallait bien se préparer à l’accueillir.

Vers l’an 1780, le Hida ( Le Hida est l’acronymie de Haïm Joseph David Azoulaï, l’une des sommités rabbiniques du XVIIIe siècle) se rendit au Maroc. Dans un sermon acéré, il s’insurgea contre la tradition de ces grands ménages: « Le Temple brûle et vous osez remettre votre maison à neuf ! Pour ce 9 av, vous resterez en deuil jusqu’à la nuit ».

Le lendemain, le Hida s’arrêtant un moment à l’ombre d’un arbre, surprit une conversation entre deux femmes du mellah : « Le grand rabbin nous interdit de faire du ménage. Il doit savoir que le Messie ne viendra pas cette année. A quoi bon les ménages? Quel chagrin! Quelle déception! »

Le Hida, consterné, se rendit sur le champ chez le rabbin et lui demanda d’annoncer à tous les chefs  de famille que leurs épouses pouvaient… « devaient  balayer, laver, blanchir leur maison car le Messie viendra cette nuit-là…»

Simona est fière et radieuse. Ses arrières petites filles rient aux éclats devant les mimiques théâtrales de leur aïeule. “Mes chéries, mes chéries, n’oubliez surtout pas, lorsque vous serez mariées, avec l’aide de Dieu. Il y a le grand ménage de Pessah, le ménage du shabbat, mais le plus important des ménages de l’année, c’est aujourd’hui, ce jour du 9 Av, le ménage du Messie.”

 

 

 

Mea Shearim

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Méa Shéarim a été maintes fois photographié. L’effervescence des rues, les immenses centres d’études talmudiques, les minuscules et ancestrales yéshivot, les mikvés d’antan, le tisch des rabbis, les hommes, portant chapeau et calotte noirs, les femmes aux longues robes poussant des poussettes, entourées par une ribambelle d’enfants, et celles au foulard noir, tout attire le regard du photographe.

Cette fois, c’est une jeune-femme française, Raphaëlle Abib qui photographie Méa Shéarim et qui expose à Jérusalem. Le regard est très particulier. Je lui laisse la parole :

J’ai découvert le quartier de Mea Shearim lors de mon premier voyage en Israël. Soudain, j’ai eu envie d’aller vers l’inconnu, vers cette communauté qui vit selon ses propres codes, hors du temps et de notre modernité. Les habitants de Mea Shearim représentent aussi un visage du judaïsme qui m’est étranger et m’interpelle. Je n’ai pas l’habitude de photographier des inconnus, encore moins des personnes avec lesquelles je ne peux communiquer par les mots. J’ai volontairement choisi de travailler avec un objectif 50mm, qui oblige à faire des plans serrés. Pour réaliser certaines prises de vue, j’ai voulu affronter tantôt l’hostilité d’un regard, tantôt un geste de refus ou des paroles dont le ton se voulait blessant. J’ai senti combien tout regard étranger est vécu comme une tentative d’intrusion inacceptable. J’ai voulu braver l’interdit, pour tenter de lever un petit coin du voile, sur ces êtres qui traversent les rues de ce quartier de Jerusalem avec une détermination sans faille. J’ai aimé les saisir pendant ce moment unique de Pessah, où les couleurs, les rituels, les symboles, sont encore plus forts. De ce face à face, que sans mon appareil photo je n’aurais pas osé vivre, je suis sortie différente.

 

Raphaëlle Abib – Série de 23 photographies 61×51 cm, impressions pigmentaires sur papier Fine Art Hahnemühle Baryté 315 g. Edition limitée à 6 exemplaires, numérotée et signée. Prix de chaque photographie encadrée: 850 us$ ou 3000 NIS

31 mai – 28 juillet 2016

Municipality Gallery Jerusalem, 17 rue Yaffo

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Le syndrome de Pessah

 

 

L’agitation perpétuelle de la société israélienne donne déjà le vertige. A la veille de Pâques, le bouillonnement devient explosif. Le stress est la marque de fabrique de la fête. Comme si chacun, son balluchon sur l’épaule, allait, bel et bien quitter l’Egypte, fuir l’esclavage, traverser la Mer Rouge et entamer sur les pas de Moshé, un voyage de quarante dans le désert, pour arriver en terre promise. Mais vous y êtes, en terre promise! Israël, le pays où coulent le lait et le miel, où Prada et Porche ont pignon sur rue, où la liberté n’a parfois aucune limite, où la prospérité est, pour certains, à portée de main. Non et non! Les Israéliens se croient sur une scène de théâtre. Pendant quelques semaines, ils deviennent acteurs de leur histoire millénaire. En regardant l’affolement et la surexcitation des veilles de Pâques, on croirait lire les versets de l’Exode.

La logique perd ses droits. Si les clichés ne disent en général rien du réel, ce n’est pas le cas de Pâques. Le matériau principal de cette fête est fait d’un mélange de tension, de nervosité, d’angoisse et d’impatience. Chacun carbure pour l’autre. L’air du temps suscite une semi-terreur. Les carnets de rendez vous se figent. Rien! Ne me demandez rien! Mais justement c’est pour Pâques que… ! Rien ! Après Pâques ! Personne ne vous accordera ici un rendez vous, ni le peintre, ni le médecin, ni votre client. Campée sur son comptoir, la caissière tape des chiffres à l’infini. Dans les magasins bondés, il faut pousser des coudes, pour dénicher une belle jupe au prix maxi. Le piéton prend des risques pour se frayer dans les rues bondées. Jusqu’à l’aube, les chariots des supermarchés crissent entre les allées. Les voitures klaxonnent au quart de seconde en se demandant pourquoi le rouge n’a pas encore virer au vert. Même la charité se fait bouillonnante. Comme si les pauvres ne mangeaient qu’à Pâques. Les organisations caritatives placardent des affiches « Mettez dans ce carton une bouteille d’huile, un paquet de sucre et des friandises pour les pauvres» et ramassent de quoi nourrir  une nation pendant des mois. Devant papi et mami fiers et amusés, les adolescents peignent avec énergie les murs. Les balcons et les jardins fleurissent à plaisir. Sur les rives du Jourdain, à la frontière avec le Liban, les bateliers des kibboutz astiquent les kayaks à touristes.

Parés de leurs apparats des grands jours, les rabbins procèdent à la vente du hametz du pays à Mahmoud, l’habitant du village d’Abou Gosh. À Kfar-Habad, les Loubavitch font virevolter les  matzot dans leurs fours à bois.

Tsahal se laisse aussi tenter à ces remous. Adieu Hamass-Jiaad-Hizboulah. La grande opération logistique de la semaine est de rendre les cuisines des bases militaires « casher pour Pâques » explique très sérieusement le chef d’Etat major.

A l’approche de Pâques, la maitresse de maison virevolte de sa cuisine à son armoire avec la frénésie d’une danseuse du ventre. Il s’agit de tout finir à temps. Poussière, rangement, peinture, dégraissage, blanchissage. La forcenée de Pâques ne pense que balai, chiffon et eau de javel. Son regard embrase chaque matin ses armoires en remue-ménage et sa tension monte encore de quelques crans. Le dernier jour, l’excitation, l’affolement et l’horloge qui s’emballe créent des turbulences orageuses. Les risques d’hypertension menacent. Puis progressivement l’affolement s’apaise. La journée avait commencé sous des ruissellements de sueur. Elle s’achève en extase devant la maison astiquée et la ribambelle d’enfants en blanc immaculé. En blanc vaporeux de coton et de soie, la maitresse de maison regarde autour d’elle, presque surprise de la tempête qui s’est fait brise du printemps.

Et si le message était spirituel. Si la surexcitation était pour calmer les exaspérations de l’âme, pour sublimer l’esprit. Fête clef d’Israël, incontournable, passionnelle, parce que remise à zéro. Volupté des débuts, émerveillement de l’aurore, enchantement du nouveau, espoir des départs. Pâques est arrivé.

 

La période rose-violet

 

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Le printemps a en Israël ses couleurs. Les arbres jaunes-rouges-dorés des automnes de Paris et de New-York sont rares ici. L’artifice des couleurs c’est pour le printemps. Et les arbres se donnent le mot. Il y a d’abord la période blanche des amandiers de Tubichvat. Puis quelques semaines plus tard débute la période rose-violet.

Ces jours-ci sur les routes d’Israël, on peut voir un peu partout des arbres rose-violet. Puis viendra la période jaune. Des milliers et milliers d’arbres jaunes annonceront l’approche de Pessah. Puis ce sera la période bleue, ces arbres magnifiques aux fleurs bleues du début de l’été.

Pour mes amis du Blog, j’ai pris cette photo sur la route qui méne de Modiin à Latrun. Dans ma voiture, j’écoute la radio. Le journal de 12h. De nouveau un attentat. La violence du quotidien de ces six derniers mois, l’enchainement tragique et insoutenable d’attentats et de vies qui s’éteignent dans le sang et la haine. Et mon regard a croisé les arbres roses-violets. Israël et ses contradictions, ses contresens. Sans que strictement personne n’ait de solution pour mettre un terme à ce conflit millénaire.

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Le musicien juif

Ce second album de ce chanteur de talent de 26 ans, s’inscrit dans le courant de la chanson israélienne de ces dernières années.

Ety Ankri, l’ancienne déesse de la soul music qui récite les poèmes liturgiques de Yehouda haLevy ; Shuly Rand, en complet sombre qui déclame Eicha et les textes des Lamentations sous les feux de l’amphithéâtre de Césarée  ; Amir Benayoun, casquette et barbe noires qui roucoule les intonations vibrantes de l’hébreu ; Shiri Maimon, la vedette mainstream, qui accompagne Shimon Bouskila dans le dialecte judéo-marocain si peu estimé par les élites des débuts ; Idan Raichel qui chante les Psaumes de David ; Koby Oz, le chantre de la musique pop qui compose Mon Dieu, et Elohai devient le tube d’un été.

Comme eux, Ishaï Ribo est rebelle à une culture unique, à un pays sans tradition, à une chanson chansonnette, aux textes faciles et aux images d’Epinal, opposé aussi à une tradition déshumanisée et aux coercitions. Ces chanteurs créent la nouvelle chanson d’Israël.

Phénomène à l’échelle planétaire, le réveil religieux a, en Israël sa propre causalité.  Les fondateurs de l’Etat hébreu avaient choisi la laïcité. Les sépharades, les traditionnalistes, les immigrants, les habitants de la périphérie, les jeunes — et à chacun ses raisons — ne se sont pas reconnus pas dans la culture dirigeante socialiste, rationnelle à outrance, séculière et laïque. Il fallait tout prendre ou tout laisser. Ils ont tout laissé. Ils sont devenus le second Israël.  La progression de la droite, motivée par les craintes sécuritaires, a également trouvé ses racines dans ces exclusions culturelles.

Ce mouvement de protestation des nouvelles générations s’exprime aussi par un retour aux sources juives. Sensible dans toutes les strates de la société, cet intérêt pour le judaïsme a commencé dans les salles de concert. Chanteurs, compositeurs, interprètes, ils cherchent des attaches et des amarres. En quête d’ancrages pour demain, il raccommode les déchirures du passé. Hésitant entre modernité et tradition, séculier et religieux, démocratie et royauté divine, Occident et Orient, rationnel et mystique, comme un funambule sur une corde raide le musicien juif avance à pas prudents, cherche une nouvelle identité et prend l’auditoire aux tripes.

Le musicien juif a entraîné son public dans son périple.