Ajami à Jaffa : une réalité au fil du rasoir

Ajami est l’un des plus vieux quartiers de Jaffa, dans la banlieue sud de Tel-Aviv. Les deux tiers de ses cinquante mille habitants sont juifs, et un tiers est arabe. Rendu célèbre par le film   qui porte son nom, Ajami est un territoire de conflits enchevêtrés : de sourdes haines entre Arabes israéliens, Palestiniens et Bédouins ; des ressentiments sans espoir entre Juifs et Arabes ; des guerres fratricides entre musulmans et chrétiens. La débâcle matérielle alourdit le fardeau d’une société ravagée par les conflits communautaires. La dureté du quotidien exacerbe les jalousies entre hommes et femmes, les tensions entre parents et enfants, les conflits entre employés et employeurs.

Dans ce quartier, la drogue, la violence et la prostitution ont acquis une forme de légitimité. La tragédie des destins y est normalité. Ajami concentre à la fois les dilemmes d’un conflit interminable et les brisures sociales de la pauvreté. À quelques mètres à peine des rues mal famées, des maisons bourgeoises et accueillantes aux jardins plantés de bougainvilliers et de palmiers font face à la mer. Les rues embaument des parfums d’épices et de pain chaud. Les habitants sont affables ; certains racontent même des histoires, certes rares, d’amitiés entre voisins juifs et arabes. Il y a des mosquées, des églises, des monastères et aussi des théâtres d’avant-garde.

À la frontière d’Ajami s’ouvre la Jaffa touristique : son port, ses restaurants, ses galeries de peinture, ses ruelles centenaires rénovées. Et ses nouveaux immeubles de luxe où des familles de la Diaspora juive à la recherche d’exotisme ont acheté des appartements à des prix exorbitants. Non loin de là, une cinquantaine de familles de jeunes religieux idéalistes louent pour un prix modique des petits appartements coquets autour d’une synagogue et d’un centre talmudique, ignorant l’inquiétude de leurs voisins arabes. Le plus grand centre intercommunautaire d’Israël est établi à Ajami. Quelque deux mille Arabes et un millier de Juifs y étudient l’anglais, chantent et font ensemble de la poterie — un bel et rare exemple de coexistence, mais qui ne dure que quelques heures par semaine.

À Ajami se côtoient l’Israël des conflits et l’Israël de la normalité. Dans certaines rues, le regard croise l’Israël tranchant, déroutant, bouleversant, déchiré, presque insoutenable ; dans d’autres, l’Israël palpitant, inventif, culturel, riche et esthétique. Pour vivre, Ajami a fait, comme Israël, le choix de l’ambiguïté et d’une réalité sur le fil du rasoir.

Cet article a été publié pour la première fois, dans mon livre, “En direct d’Israël”, paru aux éditions Inpress.

 

One Reply to “Ajami à Jaffa : une réalité au fil du rasoir”

  1. A Bruxelles c est pareil! et la plupart des gens me semblent naïfs ou aveugles car ils ne voient pas la réalité des choses
    Ils espèrent que la situation change ( que les intégristes s adoucissent, que la pauvreté s amoindrisse, que les gens s entendent entr eux…)Pourtant il y a eu la fusillade au Musée Juif de Belgique, il y a eu récemment le carnaval d Alost avec son char anti sémite)
    Je préfère la vigilance à l espérance! En tout cas pour le moment, c est à dire tant que le gouvernement de la Belgique et ses élus et la royauté n ont pas pris de vrais mesures de protection, tant que les citoyens ne seront pas correctement informés, tant que les problèmes persistent. Que D. aide à éradiquer les diverses souffrances pour un monde plus humain, beaucoup plus humain.

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