La reine Esther et l’agouna

Au début des années 2000, plusieurs organisations de femmes qui luttent pour libérer la femme agouna, ont pris la décision de marquer la journée internationale de la femme agouna, le 13 du mois juif d’Adar, le jour du jeûne d’Esther.

Comme la reine Esther prisonnière dans son palais, la femme agouna est « ancrée », « enchainée » à un mari fantôme, femme morte-vivante, sans espoir, sans statut, sans liberté.

Le sujet est un des défis majeurs du monde juif moderne.

Tout d’abord cette tragédie concerne des milliers de femmes à travers le monde. (Et d’hommes, mais le sujet est tout autre, les conséquences halakhiques étant bien moindre, pour les hommes dont les épouses refusent de recevoir le guet.)

Le refus de donner le gett ou le chantage au gett est un méga-phénomène, notamment en Diaspora. En Israël, des lois très sévères permettent de limiter les maris vindicatifs exploitants d’une manière honteuse la halakha. En Diaspora, même les Tribunaux rabbiniques les plus efficaces ne peuvent rien, face à un époux qui refuse de libérer sa femme.

Dans plusieurs pays et notamment en Amérique du Sud mais aussi dans des pays européens comme en Belgique, des femmes mariées ayant perdu tout espoir de recevoir leur guett, ont choisi de continuer à vivre et même d’avoir des enfants. A la tragédie humaine de ces femmes enchaînées, se rajoute des questions douloureuses et souvent insolubles de mamzerout, d’enfants illégitimes.

Conscients de ces tragédies humaines, le législateur israélien et l’establishment religieux ont pris l’initiative de nouvelles lois, visant à décourager les maris récalcitrants. Par ailleurs, la signature d’un contrat prénuptial, conforme à la halakha, et limitant les risques d’igoun donne déjà des résultats dans plusieurs communautés, notamment aux Etats-Unis. La possibilité d’annuler à posteriori un mariage, bien que très rarement utilisé, fait débat.

Mais pour cette journée internationale de la femme agouna, disons l’essentiel : la responsabilité du phénomène incombe à chacun d’entre nous, citoyen juif d’Israël et du monde, leader rabbinique, éducateur, dirigeant communautaire et médiatique.

Le message doit être clair : un homme juif ne peut pas retenir par la force une femme qui a dit non. Un homme juif ne peut pas négocier la liberté de sa femme. C’est contraire à la morale, c’est une indignité, c’est un opprobre pour la Loi juive.

Dernièrement, j’ai représenté devant le Beit Din, une femme religieuse, orthodoxe, d’une trentaine d’année, originaire de New York, séparée de son mari depuis huit ans. Son époux, lui aussi orthodoxe est membre actif et donateur d’une grande communauté de Brooklyn. Chacun connait le drame, chacun à choisir de se taire pendant des années. Nous connaissons des histoires identiques à Miami, à Paris, à Buenos Aires et partout dans le monde.

Lors d’un procès au Beit Din de Tel-Aviv, le Rav Stessman, un des dayan, juge rabbinique, parmi les plus importants d’Israël dans le domaine du droit familial, a répondu ainsi à un mari qui expliquait son refus de donner le guet car ” cela ne faisait que six mois qu’il était séparé de sa femme et que le divorce civil n’avais pas encore été prononcé.”

Lorsqu’il n’y a plus de chance de “shalom bait”, de paix dans le ménage, lui a répondu le Rav Stessman, que l’homme dit je ne veux plus vivre avec elle, que la femme dit je ne veux plus vivre avec lui, le guet doit être donné immédiatement. Sans attendre un seul jour. Un jour de plus c’est une situation d’igoun. ”

En d’autres termes, le guett ne peut en aucune manière être un moyen de pression. Les questions de garde d’enfants, de règlements financiers après. Et même le divorce civil, après. Le guett, d’abord.

 

Pour celles, ou ceux qui souhaitent un conseil juridique, nous avons une permanence en anglais et en français, tous les soirs du dimanche au jeudi, de 20h à 21h au +97239797755.

 

Ajami à Jaffa : une réalité au fil du rasoir

Ajami est l’un des plus vieux quartiers de Jaffa, dans la banlieue sud de Tel-Aviv. Les deux tiers de ses cinquante mille habitants sont juifs, et un tiers est arabe. Rendu célèbre par le film   qui porte son nom, Ajami est un territoire de conflits enchevêtrés : de sourdes haines entre Arabes israéliens, Palestiniens et Bédouins ; des ressentiments sans espoir entre Juifs et Arabes ; des guerres fratricides entre musulmans et chrétiens. La débâcle matérielle alourdit le fardeau d’une société ravagée par les conflits communautaires. La dureté du quotidien exacerbe les jalousies entre hommes et femmes, les tensions entre parents et enfants, les conflits entre employés et employeurs.

Dans ce quartier, la drogue, la violence et la prostitution ont acquis une forme de légitimité. La tragédie des destins y est normalité. Ajami concentre à la fois les dilemmes d’un conflit interminable et les brisures sociales de la pauvreté. À quelques mètres à peine des rues mal famées, des maisons bourgeoises et accueillantes aux jardins plantés de bougainvilliers et de palmiers font face à la mer. Les rues embaument des parfums d’épices et de pain chaud. Les habitants sont affables ; certains racontent même des histoires, certes rares, d’amitiés entre voisins juifs et arabes. Il y a des mosquées, des églises, des monastères et aussi des théâtres d’avant-garde.

À la frontière d’Ajami s’ouvre la Jaffa touristique : son port, ses restaurants, ses galeries de peinture, ses ruelles centenaires rénovées. Et ses nouveaux immeubles de luxe où des familles de la Diaspora juive à la recherche d’exotisme ont acheté des appartements à des prix exorbitants. Non loin de là, une cinquantaine de familles de jeunes religieux idéalistes louent pour un prix modique des petits appartements coquets autour d’une synagogue et d’un centre talmudique, ignorant l’inquiétude de leurs voisins arabes. Le plus grand centre intercommunautaire d’Israël est établi à Ajami. Quelque deux mille Arabes et un millier de Juifs y étudient l’anglais, chantent et font ensemble de la poterie — un bel et rare exemple de coexistence, mais qui ne dure que quelques heures par semaine.

À Ajami se côtoient l’Israël des conflits et l’Israël de la normalité. Dans certaines rues, le regard croise l’Israël tranchant, déroutant, bouleversant, déchiré, presque insoutenable ; dans d’autres, l’Israël palpitant, inventif, culturel, riche et esthétique. Pour vivre, Ajami a fait, comme Israël, le choix de l’ambiguïté et d’une réalité sur le fil du rasoir.

Cet article a été publié pour la première fois, dans mon livre, “En direct d’Israël”, paru aux éditions Inpress.

 

La machine à écrire d’Amos Oz

 

Aux premiers jours du printemps 1988, je traversai le Néguev pour rencontrer Amos Oz.

Oz avait quitté Houlda, le kibboutz de ses quinze ans, pour Arad, la petite commune tranquille du désert. Il espérait soigner son fils souffrant dans cette ville de cure qui domine la Mer morte, sur les hauteurs des étendues désertiques. D’emblée, nous avions parlé du quotidien à Arad. Comment vivre dans cette localité isolée, loin du bouillon culturel de Tel-Aviv ? La réponse d’Amos Oz me rappela la célèbre formule de René Descartes : « Même si j’étais seul, dans une cellule de prison, sans un livre, sans un objet, je ne m’ennuierais pas. Je réfléchirais, je rêverais, je penserais. »

Entrer chez un écrivain, c’est un peu comme pénétrer dans l’intimité de son écriture — dans le lieu où les mots se créent, où son monde s’élabore et se dévoile. J’imaginais qu’Amos Oz me recevrait dans une pièce neutre. Il me fit entrer dans son bureau — ou, pour reprendre son expression, son « lieu d’écriture ». La pièce, spacieuse, se situait en contrebas de la maison et donnait sur un jardin d’hiver verdoyant, mais dépourvu d’horizon, comme refermé sur lui-même. Sur une table de travail, une machine à écrire attira mon attention. Oz remarqua mon regard étonné. Pendant les deux heures que dura notre entretien, il n’en dit mot. De nombreux livres s’entassaient sur les étagères ceinturant la pièce; une photo de famille en noir et blanc était posée sur la table. Oz était assis sur un siège aux proportions généreuses. Il y avait aussi un petit salon au sol couvert de moquette, et des plantes. L’ensemble baignait dans une atmosphère sereine qui me semblait pourtant magique. Ici étaient nés les livres emblématiques de l’Israël contemporain.

Oz était brillant, lumineux, spirituel — captivant. Il était surtout lucide quand il décryptait les hommes et la société de son temps. Il savait aborder un sujet compliqué et le rendre parfaitement clair. Avec aisance, il mettait à nu les complexités et les méandres d’une situation. Amos Oz était aussi chaleureux. Une amabilité parfois un peu forcée. Mais le geste, le sourire à la fois timide et rayonnant suscitaient le dialogue.

Comme si les écartèlements étaient un choix, il jonglait avec les contradictions. Tout s’entremêlait en filigrane. Une famille ancrée à droite et un engagement militant à gauche. Un écrivain laïc parlant à plaisir des choses juives. Une enfance dans un quartier pauvre de Jérusalem et une adolescence rebelle dans un kibboutz. Une famille déchirée — sa mère s’était suicidée alors qu’il avait douze ans — et une cellule familiale transcendée dans ses écrits comme dans sa vie. À première vue antinomiques, ces discordances devenaient harmonieuses au fil du propos. Un puzzle aux mille pièces éparpillées qui s’assemblent et s’emboîtent.

Oz parla de l’écriture, du rituel de la création des lignes et des mots. D’Arad à l’aube, de ses marches dans la lueur ténue qui précède le lever du jour enfoui dans la nuit, dans le désert encore endormi, encore imberbe, encore immaculé comme une source d’où jaillira peut être l’inspiration. Puis du café, chez lui, siroté avant de s’asseoir à son bureau, devant sa machine à écrire. Et des trois, quatre lignes écrites le matin, puis repensées, réécrites, rayées la fin de la journée venue. Oz parla aussi de l’hébreu, de la nécessité de vivre en Israël pour écrire, dans l’espace des consones et des voyelles hébraïques. Avec la pudeur de quelques mots épurés, Amos Oz raconta l’écriture, ce va et vient de la création, cette grande aventure de l’intérieur, cet entrechoc entre les mots, les idées et les profondeurs de l’homme.

Amoz Oz, véritable Proust de l’Israël moderne, est un grand écrivain. C’est aussi un grand conteur. Il passait avec dextérité des questions intimes aux grandes causes du monde. En l’écoutant, les banalités devenaient sublimes, les défis existentiels limpides. Je m’étais souvent demandé comment était il  devenu une sorte de prophète des temps modernes vers qui l’on se tournait quand la tempête faisait rage. Tous les écrivains talentueux ne publiaient pas des pamphlets  iconiques  à la une du Yédihot Aharonot à chaque nouveau soubresaut de la société israélienne. Cet entretien m’apporta un élément de réponse. Amos Oz parlait d’Israël avec un mélange de sévérité et de tendresse. Il témoignait d’un sens critique impitoyable tout en portant sur ses compatriotes un regard caressant, sensuel. Un amoureux averti qui ne transigeait jamais avec les règles de la clairvoyance.

Alors que nous étions près de l’escalier qui menait au portail, j’interrogeai Oz sur la machine à écrire. « Je sais, cela vous a surpris, répondit-il. Je n’écris pas avec un ordinateur, cela va trop vite. J’ai besoin du temps, des allers et retours, du grincement, de la musique, des hésitations de la machine à écrire. »

Cet écrit a été publié dans le livre, En direct de Jérusalem, Une journaliste raconte, que j’ai publié aux Editions Inpress en 2012.

L’aguna de 20 ans a eu son guet

 

L’histoire débute il y a deux ans en Argentine. Elle a 18 ans, il en a 26. Ils vivent dans la communauté juive de Buenos Aires. Deux grandes familles, propriétaires d’affaires de commerce fructueuses et les deux jeunes travaillent chacun dans l’entreprise familiale.

Quelques jours après la cérémonie de la houpa, le mariage éclate. Le mari explique à sa jeune épouse, qu’il ne veut pas d’enfants d’elle, qu’il ne veut pas d’elle, amène sa mère dans l’appartement, acquis à part égales par les deux familles et au bout de quelques semaines, la jeune-femme en pleurs et apeurée est renvoyée  dans sa famille par sa belle-mère, qui annonce que l’appartement, les cadeaux, l’argent du mariage resteront en possession de son fils.

Le divorce civil est prononcé. La famille de la mariée s’adresse au Rabbinat d’Argentine pour obtenir le guet. Très rapidement, les autorités rabbiniques locales comprennent qu’ils sont face à une affaire grave d’igoun, de refus de donner le guet. Le mari soutenu par ses parents annonce avec un ton ostentatoire qu’il ne donnera jamais le guet.

Dans ces communautés, le racket au guet est courant. Selon le Rabbinat d’Argentine, plus de cent femmes n’ont pas le guet en Argentine et sont aguna depuis des années. Face à l’impossibilité d’obtenir le guet, elles se sont résignées à ce statut.

Le Rabbinat confie à la famille qu’il craigne pour le statut de la jeune-femme qui pourrait rester ”aguna” pendant de longues années.

La structure de la Communauté juive d’Argentine aggrave la complexité de l’affaire. En Argentine, contrairement à la France, il n’y a pas de Rabbinat central. Aux coté de deux grands rabbins ashkénazes et sépharades, existent une multitude de tribunaux rabbiniques, certains très influents. Une de ces autorités est un membre de la famille du mari. Pendant des mois, la communauté d’Argentine s’est divisée autour de cette histoire, qui a fait la une des médias juifs locaux et surtout des grands médias d’Argentine. Guerre d’influence, argent, honneur, pouvoir politique et une jeune-femme pris dans ce tourbillon.

Il y a trois mois et demi, le mari arrive en Israël pour quelques jours. Le Beit Din d’Israël mis au courant par un des Beit Din d’Argentine, convoque le mari. L’époux de nouveau déclare qu’il refuse catégoriquement de donner le guet mais promet de le donner le guet en Argentine.

“Si vous ne réussissez pas en Israël, cette jeune femme restera aguna à vie”, prévient le Rabbinat d’Argentine. Une procédure juridique intensive, avec appels et contre appels devant le Haut Tribunal rabbinique de Jérusalem n’aboutit pas. La famille du mari est représentée par plusieurs grands cabinets d’avocats de Tel-Aviv qui promettent qu’ils obtiendront gain de cause et réussiront à convaincre le Beit Din de laisser l’époux quitter Israël sans donner le guet.

En tant que toénet rabbanite, avocate devant les Tribunaux rabbiniques, représentant la jeune-femme, nous avions un objectif, le guet seulement en Israël, sachant que l’alternative était une vie brisée à jamais pour une jeune-femme de 20 ans.

Il y a quelques semaines, la famille du mari change de nouveau d’avocat. Les nouveaux avocats comprennent que le Beit Din d’Israël ne prendra jamais le risque de laisser une femme de 20 ans aguna à vie, et conseille au mari de donner le guet.

Cette semaine, la remise du guet, a été une des cérémonies de guet les plus dramatiques à laquelle j’ai assisté. Jusqu’à la dernière minute, nous avons craint que le mari change d’avis et trouve un nouvel échappatoire.

Dans cette histoire, un coup de chapeau revient à plusieurs rabbins qui avec sang-froid, n’ont pas cédé face aux menaces et aux risques :  Le Grand rabbin sépharade d’Israël, le Rav Itshak Yossef qui a accepté notre demande de prendre le dossier en Israël, le Rav et Dayan Ben Yaacov chargé du dossier au Beit Din et le Rav Maimon , directeur du département des Agunot au Tribunal rabbinique, qui tout au long de la procédure a réussi à déjouer chaque nouvelle embûche.

Une histoire avec un message  : Arrêtez d’exploiter la Halacha d’une manière éhontée, scandaleuse et amorale.

 

L’aguna du Yémen est libre

נ' והטוענת הרבנית עם פסק הדין

L’histoire débute  en 1993, au Yémen. T, une adolescente juive de 13 ans est mariée contre son gré à un homme de 20 ans. Après une première grossesse, des coups, des viols et une tentative de meurtre, la jeune femme se réfugie chez ses parents. Son mari se remarie avec une seconde femme avant d’exiger de “récupérer ” sa première femme. Sous la pression T, qui, a à peine 16 ans, cède. Cinq autres enfants naissent de cette union. Après des années de violence et de souffrance, la jeune femme réussit à quitter le Yémen, sans ses enfants. Plusieurs mois plus tard, lors d’une opération spéciale menée par l’Agence juive, les Services israéliens, en échange de plusieurs milliers de dollars, la jeune-femme réussit à faire sortir ses six enfants du Yémen, d’abord aux Etats-Unis, ensuite en Israël.

Son mari reste au Yémen et se convertit à l’Islam. T. vit en Israël, libre avec ses enfants, mais aguna, enchaînée à vie à un homme honni.

Le département des agounot du Tribunal rabbinique de Jérusalem tente de créer un contact avec l’époux, en vain. Plusieurs émissaires sont envoyés et tous se heurtent à un refus catégorique du mari. Plusieurs tribunaux au Tribunal rabbinique d’Israël sont saisis. Tous tentent, sans succès. Des mois et des années de procédures. L’aguna du Yémen semble une affaire insoluble.

Il y a environ un an, Téhila Cohen, la toénet rabbanit qui suit le dossier s’adresse alors au rabbin et juge rabbinique, le rav Aviran Itshak Halevy, autorité rabbinique du Tribunal rabbinique de Tel-Aviv pour reprendre le dossier à la base et tenter une procédure d’annulation de mariage. Après des centaines d’heures de travail, d’investigations, d’enquêtes sur le terrain, auprès de la communauté juive yéménite, d’interrogatoires de dizaines de personnes, membre de la communauté et de la famille, le juge rabbinnique publie un “psak din”, une décision juridique annulant le mariage.

La validité de l’annulation d’un mariage, ” hafkkaat kidouchin, bitoul kidouchin הפקעת  קידושין – ביטול קידושין“, est un des domaines les plus complexes du droit talmudique. Le processus halakhique est rare  et délicat. Pourtant, dans bien des cas insolubles, cette approche courageuse devrait être envisagée. Nous tentons depuis plus d’un an de trouver une solution à une jeune-femme de France, dont le mari s’est rapproché de l’Islam et qui refuse de libérer son épouse. En espérant que ce psak din, puisse faire jurisprudence.

Ce psak din, de plus de 250 pages, cite des dizaines de décrets talmudiques,  des décisions rabbiniques certaines pluri-centenaires, et des décisions célèbres du rav Ovadia Yossef, le juge Halevy s’appuie sur non moins de dix-neuf motifs pour annuler le mariage, et notamment l’invalidité des témoins qui ont signé la kétouba et qui étaient membres de la famille des mariés, l’incompétence du rabbin. Le juge avance aussi la notion talmudique de mékakh taout, à savoir d’erreur au moment du mariage, de mariage forcé etc.

Avec le juge Halevy, un coup de chapeau pour le département des agunot, pour l’organisation de femmes et la toénet Téhila Cohen, qui ont cru à l’histoire et ont lutté jusqu’au bout. Et surtout à T., qui maintes fois aurait pu abandonner le combat, mais à décider de ne pas vivre “morte-vivante” et d’exiger le droit à sa liberté.

T., 40 ans,  aux beaux yeux noirs, à la voix posée, a reçu du Beit Din de Tel Aviv un certificat de célibat :T, fille de M., est libre et célibataire. Son statut est celui d’une célibataire qui n’a jamais été mariée et  elle peut aujourd’hui se marier avec un homme juif, Israël ou Cohen.

Photo P.R

Yéhoudit a eu son guet…

 

 

Après des années de combat, Yéhoudit a eu son guet.

” Mais pourquoi dois-je payer pour avoir mon guet” m’a demandé Yéhoudit lors d’une de nos discussions pendant ces mois de combat. Ce cri du cœur d’une femme à la recherche de sa liberté est aussi la question cruciale que pose le divorce dans le monde juif. Certes, la Torah écrit qu’un homme doit donner le guet à sa femme “de sa propre volonté”, mais la Torah n’écrit pas que l’homme doit monnayer, marchander, racketter ce guet.

Le Rav Shlomo Stessman, président du Tribunal rabbinique de Tel-Aviv, un des juges rabbiniques les plus importants du monde juif, a accompagné la procédure entamée par Yéhoudit en Israël. Pour définir le statut d’une femme aguna, le rav Stessman refuse de prendre en considération des critères de temps : ” Lorsqu’il est clair qu’il n’y a plus aucun espoir et que l’un des deux, malgré tout, refuse de libérer l’autre, nous sommes dans un cas d’igoun, de retenue par la force de l’autre, quel que soit le temps écoulé, un jour ou un an.”  Définition courageuse et  avant-gardiste de la part d’une  autorité rabbinique du monde orthodoxe.

Le rav Stessman redonne au guet sa définition halakhique originale : Lorsque tout espoir d’une union a disparu, donner le guet est une mitzva, un commandement.  Et refuser de donner le guet est une enfreinte à la Loi.

L’ancien époux de Yéhoudit et les autres époux qui enchainent encore leur femme ne portent pas seuls, la responsabilité de cette entrave à la halakha.

La responsabilité incombe à nous tous, les médias, la communauté, qui véhiculons des normes mensongères. La loi juive a été prise en otage. L’esprit de la Loi a été méprisé, outragé, violé. Un guet ne se monnaie pas. Donner ou recevoir le guet est une mitzva au même titre que d’autres commandements.

Un divorce est toujours un âpre combat émotionnel, financier et juridique. Il ne doit pas être aussi un combat halakhique. Car la halakha strico-sensus prévoit au contraire un parcours, lorsque qu’une histoire d’amour devient un thriller cauchemardesque, lorsque l’amour désagrégé s’est transmué en haine, lorsque s’entremêlent vengeance et regret, haine et désirs, lorsque que tout semble apocalyptique.

Encore un mot sur le guet de Yéhoudit. La remise du guet s’est déroulée à Paris. Mais elle a été permise grâce à l’intervention énergique du Tribunal rabbinique d’Israël et du département des agunot du Tribunal, qui en créant une dynamique dans un conflit interminable a permis de trouver une solution.

Après des procédures sans issue, Yéhoudit, avec courage et ténacité avait mobilisé l’opinion publique via les réseaux sociaux et diffusé une pétition signée par plus de 2000 personnes. Comme dernier espoir, elle s’est adressée à nous, toanot rabbaniot, avocates devant le Beit Din, qui en coopération étroite avec les tribunaux rabbiniques, tentons de libérer des femmes – et aussi des hommes – d’un lien matrimonial impossible.

Yéhoudit débute aujourd’hui une nouvelle vie. Et pour nous, qui avons depuis le début cru en elle, cru en son combat, cette journée est une journée de fête et d’espoir. 

Photo, prise de la pétition publiée par Yéhudit.

 

Le Guet de Rivki

 

 

Chaque histoire de guet obtenu après des années de souffrance est toujours douloureuse. Le guet de Rivki, l’est d’autant plus qu’il touche à l’histoire d’Israël et aux dilemmes d’un pays en guerre.

Au début des années 2010. Rivki et Yéhuda Haisraeli se marient. Un bébé né. Puis Rivki attend un autre bébé. Un jeune couple qui débute sa vie en Israël.

Mais, en été 2014, éclate la guerre de  Gaza. Tsuk Eitan. Yéhuda, combattant dans l’unité d’élite Rimon de Guivati, est à quelques dizaines de mètres du commandant Hadar Goldin, lorsque l’officier est kidnappé par des palestiniens du Hamass, à Rafiah, par un tunnel dont Tsahal ne connaissait pas l’existence. Yéhuda et ses soldats s’engouffrent dans le tunnel, pour retrouver Hadar, dont une partie du corps est toujours retenu, jusqu’à aujourd’hui par le Hamas.

Yéhuda, est grièvement blessé à la tête. Le blessé le plus grave de Tsuk Eitan.

Après plusieurs mois dans le coma, Yéhuda reprend connaissance mais a perdu ses capacités cognitives. Rivki, espère, mais comprend que le jeune-homme meurtri qu’elle assiste, qu’elle soigne est là, sans être là, touché dans sa chair et dans son âme par le conflit centenaire.

Il y a un an, Rivki a passé les fêtes de Chavouot dans le village où j’habite. Elle espérait encore, un peu. Un espoir ténu. Mais les mois sont passés. Elle a pensé à demain. Avec beaucoup de dignité, la famille de Yéhuda et les rabbins de sa yéshiva, ont soutenu l’idée d’un divorce. “Si Yéhuda le pouvait, il te l’aurait dit”.

La Loi juive est très stricte. Un époux doit donner le guet, de sa propre volonté et en toute connaissance de cause. Ce qui n’était pas le cas de Yéhuda. Consulté, le Beit Din de Jérusalem, a demandé, s’il y avait l’espoir de quelques minutes de clairvoyance. ” Faire comme si, pour libérer une jeune-femme…” Et le 29 mai dernier, la remise de guet a eu lieu, à Jérusalem.

Le nom du dayan  n’a pas été publié. Mais le silence pesant du Tribunal rabbinique de Jérusalem, montre que la procédure a été approuvée au plus au haut niveau. Décision, rare et très courageuse du point de vue halakhique, qui fera, il faut l’espèrer jurisprudence.

Quelques heures après la remise du guet Rivki a choisi d’écrire sur les réseaux sociaux, comme un besoin de dire, d’expliquer :

D.ieu a voulu que nous nous rencontrions pour la première fois il y a 5 ans et demi.

D.ieu a voulu, que nous décidions de nous rencontrer une seconde fois, bien que la première rencontre avait été un peu “décevante.”

D.ieu a voulu que nous nous aimions, que nous nous marions, que nous ayons un petit garçon et une petite fille.

D.ieu a voulu que nous passions ensemble deux années et demi, merveilleuses.

D.ieu a voulu que j’apprenne tellement de choses grâce à toi.

D.ieu a voulu que tu partes à la guerre.

D.ieu a voulu que toi ! toi !, recoivent des éclats d’obus dans la tête.

D.ieu a voulu que nous passions des mois terribles, d’incertitude, d’angoisse, des mois de questions, d’hésitations…, que je tente peut-être, peut-être encore…

D.ieu a voulu que nous comprenions qu’un seul chemin existait.

D.ieu a voulu que je continue à vivre.

 

 

 

 

Yéhuda, Rivki et leur bébé quelques semaines avant le début de la guerre à Gaza..

C’était il y a 69 ans…

הכרזת-המדינה

 

Le vendredi 14 mai 1948, 5 du mois juif de iyar,  David Ben Gourion  arrive au 16 du boulevard Rothschild, dans la maison que Meïr Dizengoff, le premier maire de Tel-Aviv, a fait construire sur un terrain de sable acquis en 1909 lors d’un tirage au sort entre les soixante six fondateurs de la ville.

A 16 h, une heure à peine avant le début du shabbat, huit heures avant l’expiration du Mandat britannique, devant un parterre de trois cent cinquante notables et journalistes, David Ben Gourion tape trois coups de marteau, saisit quatre feuilles dactylographiées  et, debout sous le portrait de Théodore Herzl, lit solennellement  la déclaration d’indépendance de l’Etat d’Israël :

Et chaque mot, nous interpelle encore, 69 ans après :

 

« Nous, membres du Conseil national représentant le peuple juif du pays d’Israël […], proclamons la fondation de l’État juif dans le pays d’Israël, qui portera le nom d’État d’Israël. […]« 

L’État d’Israël sera ouvert à l’immigration des juifs de tous les pays où ils sont dispersés […] ; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël ; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture ; […]« Nous tendons la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les États qui nous entourent et à leurs peuples. […]

« Nous lançons un appel au peuple juif de par le monde à se rallier à nous dans la tâche d’immigration et de mise en valeur, et à nous assister dans le grand combat que nous livrons pour réaliser le rêve poursuivi de génération en génération : la rédemption d’Israël.« Confiants en l’Éternel tout-puissant, nous signons cette déclaration sur le sol de la patrie, dans la ville de Tel-Aviv, en cette séance de l’assemblée provisoire de l’État, tenue la veille du chabbat, 5 iyar 5708, quatorze mai mil neuf cent quarante-huit. »

 

Les trente-sept parlementaires du yichouv juif, membres du Conseil provisoire signent le document. Le Rabbin Fishman-Maimon récite la prière du Shehecheyanou, cette prière de remerciement à la nouveauté et à la continuité.  L’orchestre philarmonique, contraint par manque de place à s’installer à l’étage supérieur de la bâtisse, entonne la Tikva.

Il est 16 h 32. La cérémonie qui a changé le destin du peuple juif a duré trente-deux minutes.

Quatre minutes avec Shimon Pérès

 

 

J’avais publié ce post, le 30 décembre 2010. Et voici de nouveau, pour parler d’une autre manière de Shimon Pérès, le Pérès dans l’intimité. 

Justement aujourd’hui, où l’honneur de l’institution de la Présidence, symbole de l’Etat d’Israël, a été aussi dramatiquement touché, ( nous étions alors le 30 décembre 2010 en pleine affaire Katsav) Ouvda, l’une des plus célèbres émissions de la télévision israélienne, a diffusé dans sa série, “quatre minutes et un autre regard”, quatre minutes avec le neuvième Président de l’Etat d’Israël. Quel que soit les opinions sur le parcours politique de Pérès, l’homme est celui du bel Israël, idéaliste, passionnel, pur et dur, dernier loup de cette génération qui a construit Israël.

La journaliste accompagne Shimon Pérès dans son appartement présidentiel. Shimon Pérès, seul à sa table de petit déjeuner, servi par la “gouvernante’ de la maison présidentielle et lui demande ” Vous n’avez pas l’impression d’être seul ?”

Shimon Pérès ” Cette maison, est celle où je vis. Sonia a été l’amour de ma vie, et rien n’a changé et ne changera. Mais elle a choisi un chemin. Moi ici, elle là bas. Et c’est le droit de chacun de choisir son chemin. Je vis donc ici seul. Je me sens seul parfois. Parfois seulement. Je travaille tout au long de la journée et je suis très entouré. Et un homme âgé, a tellement d’années avec lui, trop pour être seul”

La mort? ” L’ennui, c’est la mort, la mort, l’ennui. Ben Gourion avait 70 ans, et m’avait dit, je vais mourir à 86 ans, et il est mort cet âge, comme d’ailleurs plusieurs membres de sa famille. Comme un choix. Moi je ne fais pas de prévision… ”

Vous n’avez pas peur un jour de ne plus pouvoir? ” La peur. Que ferais je avec la peur. Est ce que la peur changera quelque chose, non n’est ce pas. Alors je n’ai pas peur. ”

L’âge ? ” Un homme de 87 ans, peut être aigri, triste, misérable ou optimiste. Je suis optimiste. Un homme âgé, ce n’est pas un homme du passé, c’est un homme, aujourd’hui. Tous les soirs je pense à demain. Tous les soirs, je vais dormir, en me posant deux questions cruciales, qui ai je vexé aujourd’hui, et quelle a été ma contribution à ce monde. Deux questions pour pouvoir demain, corriger et continuer.”

Et encore une petite histoire découverte pendant ces quatre minutes, Shimon Pérès lit Le Monde, pas sur internet, mais Le Monde sur papier, qui lui est amené tous les matins sur son bureau.

 

 

Le grand-père de Shimon Pérès

 

 

Dans son discours d’investiture à la Knesset, lors de son élection à la Présidence de l’Etat d’Israël en 2007, Shimon Pérès, a raconté , sa dernière rencontre avec son grand-père maternel le rabbin Zvi Hirch Meltzer.

Le rav Zvi Hirch Meltzer, est le descendant du célèbre rabbi Haim de Volozhin, le sage de la ville de Valojyn au tout début du 19e siècle. Sa fille, la mère de Shimon Pérès épouse un des jeunes juifs militant du mouvement sioniste naissant dans la Pologne d’alors. “Nous n’étions pas religieux à la maison, je ne suis pas religieux” a raconté Shimon Pérès, “mais mon grand-père a influencé  toute mon existence, il m’a fait découvrir le monde juif, le monde de la yéshiva, les pages du Talmud, la bibliothèque juive, le judaïsme.”

Un jour, Shimon, avait alors 4 ans, toute la famille sous l’influence du grand-père se rend à Radin, la ville du célèbre Hafetz Haim, qui lui fait une bénédiction, de vivre de longs jours. ” Je crois que je suis arrivé à cet âge,” dit Shimon Pérès, le jour de ces 90 ans, “grâce à la bénédiction du grand sage qu’était le Hafetz Haim”.( Qui s’est d’ailleurs aussi éteint à l’âge de 94 ans, le 24 du mois d’Eloul, exactement comme Shimon Pérès).

En 1934, le père de Shimon Pérès est déjà en Palestine. Shimon, sa mère et son frère, quitte à leur tour la Pologne. Sur le quai du train, le rav Zvi, prend la main de son petit-fils, et lui dit ; “Shimon, n’oublie jamais, tu es juif, Shema Israël, rappelle toi, toujours, reste juif toujours.” 

Je me rappelle encore la voix de mon grand-père “ racontera Shimon Pérès. Son grand-père ainsi que toute la famille de son père et de sa mère furent assassinés par les nazis, quelques années plus tard.

 

Photo Shimon Pérès et sa famille, son grand-père à gauche, Shimon est le troisième enfant debout à droite
Photo – Israel Photo Collection